• Comme à chaque retour de vacances, les élèves m’aident à vider les sacs que j’apporte de la maison. Cette fois, il y avait aussi dans un coin de la classe le matelas, du vieux canapé convertible que je venais de jeter. Il était négligemment posé.

    Les élèves ont commenté, « C’est un lit ? Non, c’est un matelas ? ... » Ils tournaient autour, s’interrogeaient sur sa signification. « C’est pour faire la sieste ? On va se coucher ? » Puis un élève plus hardi est venu me demander s’ils pouvaient aller sur le matelas. Ils se sont couchés à plusieurs et presqu’immédiatement l’un d’eux s’est levé et a fait une première roulade. Un autre l’a suivi. Plusieurs élèves se sont rassemblés autour du matelas. Les autres sacs étaient vidés, ou ne retenaient plus leur attention. Il y a alors eu un semblant de bousculade et celui qui avait demandé l’autorisation d’aller sur le matelas a pris la parole : « Pas comme ça. On peut pas être trop. Trois ou quatre maximum  !
    -    On fait comme pour les ateliers libres ! »

    Plaisir VECU 111 : Un matelas pour tapis de gym !

    Comme il était agréable de les entendre s’organiser et fixer en autonomie la première règle d’une utilisation sûre de cet espace de liberté. Les élèves ont conscience des risques encourus. Ils ont d’ailleurs été explicités lors du conseil des enfants :
    -    On peut pas être trop parce que sinon on se fait mal. On doit faire les roulades chacun son tour. Tout à l’heure on s’est cogné la tête avec A.. On peut pas faire la roulade si on est deux.
    -    Comme quand on est en motricité. On attend qu’il y ait plus personne sur le tapis.
    -    Si on veut faire quelque chose de difficile, c’est dangereux. »
    Les règles étaient posées :
    -    Pas plus de quatre
    -  Pas de figure nouvelle ou compliquée sans la présence d’un adulte qui accompagne et sécurise.

    Plaisir VECU 111 : Un matelas pour tapis de gym !

    Ces modalités ont été proposées par les élèves, parce qu’ils sont habitués à prendre des décisions, parce que leur parole est écoutée et entendue au quotidien. Je me suis contentée de noter et d’apprécier leur capacité à l’autogestion. Les enfants qui se savent écoutés et ont l’habitude de faire des propositions sont enclins à prendre des décisions. Ils les justifient d’ailleurs avec pertinence.

    Depuis ce jour, je sors régulièrement le matelas dans l’espace libre de la classe, le plus souvent à la demande des élèves. Ils ont d’ailleurs beaucoup progressé. Les plus timorés savent maintenant tous faire la roulade en avant, la plupart en arrière aussi. Certains inventent des figures que des camarades reproduisent. Ils ont appris à faire la roue aussi.
    Ce dispositif au sein de la classe, a permis à un plus grand nombre de s’essayer sans se sentir contraint ou regardé par l’adulte. Cette liberté de faire quand l’envie se fait sentir favorise la confiance en soi et les interactions entre les enfants. Les groupes de trois se font et se défont. Chacun est tour à tour celui qui suggère une nouvelle figure, celui qui montre, ou celui qui reproduit.
    Comme les enfants, j’aimerais que la classe soit plus grande, pousser les murs pour que cet espace soit permanent…

    Clothilde Jouzeau-Kraeutler, enseignante en grande section de maternelle

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Motricité en maternelle

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/10779

    2) Chantier maternelle

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche/adultes-archives/results/taxonomy%3A660

    UNE QUESTION 

    Quels espaces pour quelles pratiques pédagogiques ?


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  • Quel plaisir en début d’année de préparer les élèves au désormais célèbre cross de l’école. C’est toujours un moment fantastique pour travailler un nombre incalculable de choses avec les enfants.

    Cette année, j’ai un dilemme cruel. J., qui est maintenant en CM2 va sans doute obtenir une nouvelle victoire, tant son allure et sa vitesse sont remarquables, tandis que A., en CM2 lui aussi, devra batailler pour, comme l’année dernière, parcourir les trois tours du lac de Saint Mandé sans marcher. Autant de belles victoires qui me motivent et me réjouissent.

    Cet après midi, nouvel exercice dans la cour, malgré la chaleur, que je leur impose. Bien sur, il n’est pas encore envisageable de les faire tous courir le même temps. J’adapte donc les « variables didactiques » à mes jeunes coureurs. Six fois deux minutes, entrecoupées d’une minute de marche à pied pour le premier groupe, quatre fois trois minutes pour le second, et enfin deux fois six minutes pour le dernier. Un groupe court, l’autre observe, et le dernier travaille en autonomie sur un atelier.

    Les trois périodes de course s’enchainent. Les enfants se motivent dans la cour, et malgré la chaleur du moment, réussissent à boucler leurs contrats avec honneur. Certains marchent encore un peu, mais de nombreux enfants donnent leur maximum et terminent la séance en sueur et fier d’eux. C’est sûr, ils ont progressé et malgré l’envie de marcher ont réussi, pour la plupart, à se montrer qu’ils pouvaient y arriver. J. est trempé, a du mal à enchainer deux phrases de suite, mais il a le sourire. A. lui aussi est transpirant, il est haletant, il m’interpelle. « Maître, j’ai pas marché ! J’ai couru pendant douze minutes sans marcher ! ». Oui, il a du mal à courir, mais par contre connaît parfaitement les tables de multiplication. Son sourire radieux malgré la soif et la fatigue me fait chaud au cœur. Puis, L. se rapproche. « Maître, moi aussi j’ai couru douze minutes. Sans m’arrêter. J’ai mal aux jambes. Pourtant j’ai plus couru que A. ».  Enfin, SA. se rapproche à son tour. Elle a un peu marché sur ses six séries de deux minutes. Mais elle sourit. « Mais, Nicolas, moi aussi j’ai couru douze minutes. ». On se rassemble, on s’assoit par terre dans la cour, à l’ombre, et on commence à réfléchir.

    Les questions fusent. « Mon cœur me fait mal », « Je respire vite », « Pourquoi on transpire ?», « J'ai mal aux jambes »…. Toutes ces questions je les attendais un peu. Je sais, nous sommes manipulateurs. Mon programme de sciences pour le premier trimestre se construit petit à petit.

    Mais rapidement, de nouvelles questions que je n’avais pas prévues s’imposent. « Si, deux fois six font douze, comme le font trois fois quatre et six fois deux, cela veut dire que nous avons tous couru le même temps ? », « Ceux qui ont du mal et ceux qui savent courir ont tous couru douze minutes ? C’est pas possible ? », « Ca veut donc dire que si on court deux fois six minutes ou six fois deux minutes…. On aura couru le même temps ! » « Mais non moi je suis nul, j’arrive pas à courir, c’est pas possible ! ».

    Tout le monde palabre et puis finalement on s’accorde pour dire que six fois deux font douze, tout comme deux fois six. Tiens, on dirait que finalement la commutativité de la multiplication se retrouve dans la cour quand on fait du sport….

    Demain en classe, nous pourrons regarder la table de Pythagore un peu différemment. Nous chercherons sans doute tous les douze présents sur la table. Et puis, nous calculerons la vitesse de chacun, nous estimerons le temps qu’il faudra pour réaliser les trois tours de lac, nous parlerons de km/h, de min/km…. Et nous nous rappellerons ensemble des exploits de tous, la veille, afin de démontrer, naturellement, que la multiplication est commutative. Peut être étudierons nous les propriétés des autres opérations… Et si finalement les mathématiques, c’était la vie ?

    UNE QUESTION

    Comment individualiser le travail tout en gardant la cohésion du groupe et sans se perdre ?


    2 commentaires
  • Cela ferait tant d'années que sans cesse, nous aborderions les mêmes notions rabâchées de verbe, de multiplication, de plan, d'histoire, de calendrier, de polygones, d'adjectifs, de passé-composé... et il n'en resterait chez certains élèves, au mieux qu'un vague souvenir, et même pour ceux en réussite, qu'une espèce de lassitude et de non appétence caractérisée. Nous nous demanderions alors comment expliquer cette fuite si rapide des apprentissages. Pourquoi ces savoirs fondamentaux s'obstineraient-ils à ne pas rester en nous, à ne pas s'accrocher, à ne pas y laisser leur empreinte ? Manqueraient-ils de vivant ?

    Alors, nous aurions décidé de faire exister ces savoirs dans la classe, sous forme de personnages, que les élèves incarneraient.

    Nous sommes en début d'année. Une boîte à personnages est positionnée et accessible dans la classe en permanence. Chaque élève, et l'enseignant, peuvent y insérer une notion. Chaque quinzaine, lors d'un temps commun inscrit dans l'emploi du temps, on en choisit une à incarner pour la quinzaine suivante.

    De nombreuses possibilités s'offrent à nous, et pas simplement en se focalisant sur le champ disciplinaire. Ainsi, on pourra par exemple, se mettre dans la peau  :

    - d’un concept (verbe, nombre, fleuve, …),

    - d'un personnage historique,

    - d’un objet historique (armure, lieu, …),

    - d'un lieu sur Terre (pays, continent, paysage, ...)

    - d’une discipline de l’école (géographie, histoire, mathématiques, etc.),

    - de mots utilisés à l’école (ex : devoirs, leçons, notes, sanctions, consignes, travail, élève…),

    - des intervenants de l’école (enseignants, directeur, animateurs, agents de service, gardien),

    - des temps et des lieux de l’école (cantine, accueil, évaluation, matières, récréation, sorties, fête d’école….),

    - des objets de la classe, pour découvrir leur utilité, leur fonction et le respect qu’on leur doit,

    - d’acteurs sociaux (boulanger, archéologue, astronaute, scientifique…),

    - d’un personnage qu’on n’est pas (pour lutter contre les clichés, les enfermements, les discriminations),

    - ...

    Les élèves s'organisent en équipes pour préparer une mise en corps de ce savoir. Ce personnage-savoir, il faut lui découvrir une histoire, une famille, un caractère, des émotions, des désirs, des aventures passées et à venir. Cette préparation peut, par exemple, se mener lors du temps des projets personnels. Différents modes d'expression peuvent être envisagés et sont librement choisis par les groupes. En voici quelques uns :

    -    Jeux de rôle
    -    Théâtre
    -    Écriture
    -    Danse
    -    Duels
    -    Jeux de plateau
    -    Rencontres sportives
    -    Rencontres de personnages

    Deux semaines après la sélection de ce savoir, chaque équipe, présente à la classe son personnage enfin incarné, et qui restera, sans doute, plus présent en chacun de nos élèves.


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