1000 et un plaisirs à enseigner autrement
A. est une élève de CM2, une élève qui nous est signalée en difficulté scolaire chaque année depuis le CP : des difficultés d'apprentissages, notamment en mathématiques, en histoire, en anglais, et des difficultés dans la gestion de ses émotions : elle peut facilement se mettre en colère ou se recroqueviller en classe.
J'ai commencé à la suivre en "aide relationnelle" (une des missions du RASED) en CM1 au sein d'un petit groupe et j'ai découvert une jeune fille particulièrement attachante, se saisissant de ce temps particulier avec un certain plaisir. Loin de ma perception, l'élève qui m'était dépeinte en classe.
En ce début d'année scolaire, A. nous était encore décrite par son enseignante comme une élève qui l'inquiétait, et pour laquelle des interrogations sur son niveau scolaire se posaient. J'ai pu lors de la concertation donner mon ressenti sur A., ce qui, je le sus plus tard, modifia le regard de l'enseignante.
A. était en fort demande d'aide, mais je n'envisageais pas alors de prendre des CM2, priorité étant donnée aux enfants plus jeunes, donc de maternelles ou CP/CE1.
Et puis, j'ai réfléchi et je me suis vraiment interrogé sur tous ces enfants un peu plus âgés, traversant depuis deux ans les turbulences du covid, en besoin d'écoute et de soutien.
Alors, je me suis débrouillé pour libérer deux temps sur la semaine :
- un premier temps pour mener trois "ateliers empêchements" avec quelques élèves de CM1/CM2 sur trois écoles de ma circonscription
- un second temps pour proposer une aide individuelle avec certains élèves de CM2, qui nous semblaient susceptible d'en bénéficier favorablement.
A. était de ceux-là.
Chaque lundi, à 15h, nous avons eu rendez-vous, elle et moi, pour 45 minutes d'aide relationnelle. A. s'est tout de suite impliquée, notamment sur ses propositions de médiations : invention d'histoires, écriture, y compris à la maison, partage de sentiments assez personnels. Et peu à peu, j'ai assisté à une transformation, une transformation faite principalement de verticalité. A. s'affirmait de plus en plus, notamment après les vacances de Noël. J'assistais, presque sans rien faire, à une sorte de métamorphose, et, ce qui était d'autant plus formidable, c'est que sa maîtresse témoignait d'un certain transfert sur la classe : plus de calme, plus de concentration, plus d'implication.
17 janvier : Je lui annonce qu'il serait juste d'envisager la fin de l'aide, par exemple pour les vacances de février, car il me semblait qu'elle avait pleinement évolué pour pouvoir maintenant poursuivre ce travail toute seule. Elle acquiesce mais ajoute : "J'aimerais quand même avoir une séance le lundi de la rentrée, car pendant les vacances, je pourrais avoir des émotions à faire partager à mon retour (A. a une vie familiale compliquée, faite de ruptures et réconciliations entre les parents)". Je donne mon accord, étonné par cette parole pleine de maturité. La séance se poursuit par une proposition de ma part : tracer son parcours scolaire du CP au CM2, tel qu'elle le ressent. Voici son illustration, avec écrit au centre, "du stress, de la colère, de la passion, de la tristesse, joie".
Et elle finit par : "En revoyant le tableau, ça me fait rire, et je me dis aujourd'hui, qu'il y a des choses que je ne ferais pas".
24 janvier : Pour cette séance, je propose à A. une activité particulière : que nous inversions nos rôles, donc qu'elle mène la séance comme je pourrais le faire et que je me mette à sa place. Une façon de se décentrer et de se découvrir autrement. D'ailleurs, j'avais dès son entrée dans la salle changé de place par rapport à d'habitude.
Elle est tout à fait d'accord.
Je vous fais partager trois moments audio de ce temps (avec son accord)
1) Le temps 1 de la parole (je suis A., elle est moi)
2) Le choix du jeu de société (formulé par A.) : le jeu "Qui est-ce ?", suivi du temps 3, temps de retour sur l'activité
3) Le regard d'A. sur le jeu de rôle que nous avons mené
POUR FINIR (provisoirement) :
Ce récit d'une aide relationnelle n'est bien entendu qu'un exemple de ce qui peut s'y passer. Ici, il s'agit d'un travail très positif, mais je vis bien entendu plein d'autres moments où l'avancée est bien plus problématique. C'est là le grand intérêt (et la difficulté) de ce travail.
Daniel Gostain
POUR ALLER PLUS LOIN
1) La Fédération nationale des enseignants en aide relationnelle/rééducative
2) Mon padlet
https://padlet.com/danielgostain/G
UNE QUESTION
Comment ne pas "perdre" tous ces élèves trop vite étiquetés, trop vite abandonnés, car bénéficiant de trop peu d'occasions de reconnaissance ?