• Prologue :

    Fin juin, j’arrive dans ma nouvelle école. Le hasard a voulu que je sois affecté dans l’autre école de la ville où j’ai été directeur quelques années plus tôt en arrivant dans la Vienne. Ma nouvelle directrice m’accueille avec un air navré :
    - Oh purée, je suis vraiment désolée mais, comme tu vas avoir les CE1-CE2, il va être dans ta classe ! Ils ont décidé de nous affecter le petit M., j’étais hier soir en réunion à la mairie et ce n’est vraiment plus possible qu’il reste dans son ancienne école … ben d’ailleurs, c’est celle où tu as été directeur. Tu connais peut-être la famille ?

    Lundi 2 septembre, jour de rentrée

    Les enfants sont rentrés dans la classe. Je les laisse s’asseoir où ils veulent en les observant découvrir leur nouvelle classe. Un peu d’agitation mais rien de spectaculaire, comme « on » me l’avait « promis » … Je fais l’appel pour savoir qui est qui, leur demande de me reprendre si je prononce incorrectement leur prénom… tâchant de repérer du regard qui peut bien être ce fameux petit M. au milieu de ces nouveaux visages que je ne connais pas. M. n’est pas là … On a fait des jeux coopératifs pour faire connaissance, décorer le cahier de liaison, utiliser des encres pour la page de garde du futur cahier d’écrivain, et c’est déjà l’heure de la sortie. Je raccompagne les enfants à la grille… et là, dans l’effervescence du premier soir, j’aperçois une tête connue… C’est la maman de M. qui s’excuse pour son absence en raison d’un rendez-vous médical et m’informe qu’il sera bien là demain matin.

    Mardi 3 septembre

    M. s’installe entre deux filles, qui sont nouvelles, elles aussi, à l’école, et nous commençons la journée où j’ai prévu de leur parler de l’entretien du matin.
    - « Moi ! » s’exclame tout heureux M. quand je demande si quelqu’un sait ce qu’on appelle un « quoi de neuf » ? Il n’a pas levé la main, en fait il s’est même carrément levé, mais en attendant je perçois son enthousiasme, et les copains aussi. J’en profite pour lui donner la parole et il nous raconte avec détails que dans son ancienne école, on faisait « ça » le matin pour commencer la journée. Les élèves écoutent sagement. Je reformule pour la forme.
    Un peu plus tard, je propose aux enfants de réfléchir sur la différence entre les futures règles de vie de notre classe et ce qu’on va appeler la « loi ».
    - « Moi je sais, moi je sais ! » crie presque M. en faisant tomber ses affaires : « Les règles, on va en discuter, alors que la « loi », ça ne se discute pas, c’est comme ça ! ». On échange tous ensemble, j’explique en effet que la « loi » ne se négocie pas (on ne se bagarre pas, on ne crache pas, etc.). Les échanges sont riches, la parole circule. On apprend à écouter tout le monde.

    Après la récré, je leur passe un des "empêchements à apprendre’’ (voir ci-dessous) que j’ai choisi (pas au hasard) la veille au soir : « J’ai envie de bouger ». Ça rigole dans la classe à la vue des clowns. On s’arrête après la séquence, on discute. On regarde les trois réponses proposées par les clowns. On échange, les enfants votent pour celle qui leur plaît le plus. Je leur demande d’argumenter leur choix. Enfin, ils sont très questionnés sur les propres questions des clowns à la fin, et notamment : « Et… apprendre à ne pas bouger, ça s’apprend ? ». J’ai observé M. et je le trouve très intéressé mais très perplexe aussi.
    J’arrive alors vers lui et il me chuchote à l’oreille : « Maître, moi aussi, j’ai tout le temps envie de bouger ! … C’est vrai qu’on peut apprendre à ne pas bouger ??...»

    Je sens que ça va être une belle année et qu’on va faire du bon boulot pour aider M. à canaliser son énergie :)))

    Philippe Gilg, Ecole élémentaire Simone Veil, Buxerolles (86)

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Travailler sur les "empêchements à apprendre"

    http://www.empechementsaapprendre.com

     2) Les Droits de l'enfant

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche-droits-de-l-enfant

    UNE QUESTION

    Jusqu'où connaître les histoires familiales et scolaires des enfants arrivant dans nos classes ? 


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  • Chaque année, je commence la rentrée en lançant un défi à mes élèves. J'ai depuis 4 ans une classe de CE1-CE2-CM1-CM2. Cette année, ils sont 30 ! Après avoir rédigé un journal, joué une pièce de théâtre devant les parents, préparé un repas pour les parents, cette année, il m'a fallu trouver une nouvelle idée. Notre thème de l'année étant "les châteaux", je leur ai demandé de construire une maquette de château dans la journée.

    Nous avons commencé par regarder des photos de châteaux (Moyen-âge et Renaissance). Nous en avions déjà observé quelques-uns l'an dernier, donc ils se sont assez rapidement tournés vers Chambord, Villandry, Chenonceaux et Clos Lucé. Chaque élève a choisi sur quel château il voulait travailler. La contrainte était d'avoir au moins un élève de chaque niveau dans chaque groupe. Une fois les groupes constitués, ils se sont répartis dans la classe et dans la salle d'à coté.

    Ils ont observé des dépliants avec des photos. Ils ont cherché d'autres photos sur internet. Tout le monde était au travail ! Ensuite, c'est devenu une sorte de fourmilière... Dans tous les sens, ça coupe, ça colle, ça colorie... Ils sont partis bille en tête.

    L'heure de la récré arrive. Celle de faire le bilan au retour aussi.
    Qu'est-ce qui a posé problème dans votre groupe ?
    Que pouvez-vous faire pour résoudre ce problème ?

    Certains parlent des "petits ciseaux qui font mal aux mains quand on coupe le carton". Ok, on prendra les grands ciseaux de la maîtresse, en faisant attention.
    Très vite, les CM pointent le manque de communication dans leur groupe. "Si on ne se parle pas, chacun fait ce qu'il veut mais on ne sait pas ce que font les autres. Le manque de communication nous empêche d'avancer ensemble."
    Là, c'est le moment où la maîtresse jubile intérieurement !

    On se met donc d'accord tous, pour discuter avant de découper, coller.... pour savoir ce qu'on veut faire, comment on va le faire etc.

    Arrive la fin de la journée et les maquettes ne sont pas terminées ! Bon, pas grave, on y consacrera deux après-midis de plus et ça marchera.

    Jeudi après-midi : on se rappelle ensemble que la communication est indispensable avant de se répartir dans les groupes. J'avoue, j'ai deux AVS et une ATSEM. On prend chacune un groupe pour aider à fluidifier la communication. Mes dix CE1 qui débarquent dans la classe et qui n'ont jamais travaillé en Pédagogie Freinet sont un peu perdus. Qu'est-ce qu'elle veut cette maîtresse? On se déplace, on va aux toilettes, on bouge, on discute... elle veut bien tout ? Bah non, la maîtresse n'accepte pas tout : on ne peut pas coller du carton sur le nez du voisin ni casser une paire de ciseaux. Petit à petit, des règles se mettent en place. On se respecte et on respecte le matériel. C'est essentiel.

    Jeudi soir : On fait le tour des salles pour aller voir les maquettes de chaque groupe. Bilan : "Maîtresse, il vaudrait mieux faire les maquettes demain toute la journée parce qu'on a bien avancé, mais il nous reste beaucoup de travail quand même ! Si on a fini avant 16h30 demain, ben on travaillera."
    Décision collective de terminer les maquettes toute la journée vendredi : c'est bon ça !

    Vendredi : Dès 9h, on se fait un petit point pour savoir où en est chaque groupe, ce qu'il reste à faire. C'est parti... jusqu'à 16h15 ! Toute la journée, ils ont coupé, collé, mesuré, peint, testé, tâtonné, fait, défait, refait.... Ils n'ont pas voulu sortir en récré l'après-midi pour être sûrs de terminer les maquettes.
    Résultat : époustouflant !

    Plaisir VECU 117 : Le Défi de la rentrée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Plaisir VECU 117 : Le Défi de la rentrée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Plaisir VECU 117 : Le Défi de la rentrée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    J'ai été un peu optimiste en voulant faire ce défi en une journée. Mais on a réussi en 2 jours 1/2. C'était vraiment beau ! Tous étaient au travail, chacun à leur mesure. C'est boostant et motivant. Quelle année incroyable on va passer ensemble !

    Karine Fallourd

    POUR ALLER PLUS LOIN 

    1) Le TATEX (TATonnement EXpérimental)

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche/adultes/results/tatex

     2) Faire des créations

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/creations

    UNE QUESTION

    Comment faire en sorte pour que tous les apprentissages soient vécus comme des défis à relever ? 


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  • Hurlements ce jeudi matin du côté d’un groupe de CM qui ont pris l’habitude de squatter un coin de la cour. Mais cette fois, ils sont entourés de plusieurs de mes petits CE1 qui observent avec intérêt quelque chose.

    Le quelque chose en question est un malheureux bourdon, énormissime, comme j’en ai rarement sinon jamais vu, qui semble bien mal en point, ne parvenant plus à voler, se déplaçant au sol difficilement entre deux poussifs battements d’ailes.

    Ça hurle de partout « Un frelon, c’est un frelon !! Attention !! »
    J’hésite un peu, parce que pas totalement sûr que ce bon gros bourdon ne pique pas mais je l’attrape, le fais monter sur ma main. Redoublement des hurlements ; mes CE1 mi-effrayés, mi-fascinés m’entourent à distance raisonnée. Le bourdon a l’air bien fatigué mais il court encore pas mal. Pas facile de le garder sur la main.

    On monte dans les escaliers en respectant autant que possible les consignes de déplacement et on traverse le couloir dans un ordre que je n’avais pas obtenu jusqu’alors. Arrivé devant la classe le bourdon bougeotte de plus en plus ; une table traînant dans le couloir me sert opportunément de présentoir.

    Observez le bien. Combien a-t-il de pattes ? De quelle couleur est-il ?…
    Notre bourdon commence à reprendre son envol, volette maladroitement contre la vitre et je finis, presque à regret, par lui ouvrir la fenêtre, persuadé qu’il va retomber et s’écraser 10 mètres plus bas.
    Mais non, il vole, s’envole, gros aéronef bourdonnant qui s’élève dans le ciel pour ne former qu’un petit point noir qui finit par disparaître dans le ciel loin au-dessus des bâtiments.

    On pose le cartable et on se retrouve au coin regroupement. Pas de bousculade, ni de chahut comme les jours précédents.

    Alors, comment est-il cet animal ? Nous reprenons les points principaux de description : couleurs, nombre de pattes, j’écris quelques mots au tableau (jaune, noir, blanc, poils, antennes, six pattes, une abeille, un bourdon ; oui, j’ai fait « l’erreur » de ne pas demander comment cela s’écrivait et je n’ai pas non plus feint de ne pas savoir de quel animal il s’agissait ; plusieurs élèves avaient déjà mentionné son nom).

    Aux ardoises pour une phrase du jour. Les idées fusent. L’imagination s’envole (j’attendais plutôt une « plate » description de l’événement du matin), des histoires où il est question d’abeilles et de bourdons s’ébauchent (je regrette de ne pas avoir fait écrire sur le cahier de brouillon pour que cela soit repris en texte libre ou quelque chose d’approchant).

    « Le bourdon a six pattes », propose Y. qui n’avait pas écrit un mot lors des séances d’écriture précédentes et ne levait jamais la main pour répondre aux questions (ni ne répondait, si interrogé…). Notions de grammaire (une phrase commence toujours par ?... et finit par ?.... ; « Maître, c’est a accent ou a sans accent ?) et d’orthographe (pourquoi y a t il un s que l’on entend pas ?)… Oui, j’aurai sûrement dû prendre le temps de travailler avec chacun les phrases proposées. Prendre et donner plus de temps sur leurs productions respectives.

    Mais quand même, quand même : j’ai depuis trois jours le sentiment de ramer, de ne pas arriver à proposer quelque chose qui permette à mes élèves de rester concentré plus de cinq minutes. Ma séance de lundi d’observation d’une abeille et d’un bourdon (ceux-là étaient morts, à observer dans de petites boîtes…) n’avait pas intéressé grand monde.

    Cette fois, tout le monde participe et on avance bien ensemble. C’est juste tout simplement enthousiasmant. C’est bien vivant. Ce n'est pas la pédagogie de la mouche (voir plus bas) - j'ai encore du chemin à faire, à commencer par lire le bouquin en entier - mais celle du bourdon me plait déjà bien.

    Champagne !

    Thomas Servet

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) "La pédagogie de la mouche" et autres idées passionnantes de Bernard Collot

    http://education3.canalblog.com

    2) Découvrir et vivre son milieu

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/le-nouvel-educateur-222

    UNE QUESTION

    Comment faire pour que les apprentissages naissent avant tout de la vraie vie ?


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  • C'était en fin d'année, dans ma classe de CM1/CM2, lors de la semaine du "Chouette, c'est pas fini" (voir plus bas).

    Les élèves devaient présenter leurs savoirs à partager, et parmi ceux-ci, un groupe avait choisi "savoir faire des pixels géants". Sur leur affiche de présentation, il n'y avait que des petits pixels et l'affiche était déchirée dans le coin.

    Elles commencent à présenter et un élève demande pourquoi elles avaient déchiré cette partie d'affiche. Elles ne veulent pas répondre malgré l'insistance de certains élèves.

    Un d'entre eux, J, dit alors qu'il sait pourquoi ça a été déchiré : "Parce que vous l'avez raté." Elles n'osent pas répondre, alors J va chercher sur leur table la feuille du pixel raté et il dit : "Pourquoi vous ne l'avez pas laissé sur la feuille quand même ? Ce n'est grave si c'est raté. Au contraire ! Vous êtes là pour nous apprendre à comment faire un pixel, donc si vous l'aviez raté, il fallait le laisser et nous expliquer pourquoi vous l'aviez raté." 

    Une belle leçon d'apprentissage !  

    Pierre Messaut

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Le "Chouette, c'est pas fini"

    http://pedagost.over-blog.com/2019/05/la-semaine-du-chouette-c-est-pas-fini.html

    2) Le tâtonnement expérimental

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche-tatonnement-experimental

    UNE QUESTION

    Peut-on à la fois défendre le droit à l'erreur et la propension à tout évaluer ? 


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  • Cette semaine de fin juin, annoncée comme une semaine de forte chaleur, je m'attendais au pire dans l'école : excitation maximale, travail minimal, évanouissements possibles. Eh bien, pas du tout !

    Ce qui arriva fut bien différent...

    Figurez-vous que jeudi 20, mon directeur m'annonçait que Jean-Michel B. avait sélectionné une classe au hasard pour mener une expérimentation en lien avec son projet-phare de dédoublement des classes, qu'il lui fallait une classe à double-niveau pour cela, et il se trouve que c'est tombé sur moi et ma classe de CE1/CM2. 

    Son projet était le suivant : Le lundi, on allait mesurer toutes les heures la température de mes 24 élèves réunis dans un seul espace classe, et le mardi, on allait mettre mes CE1 dans une salle et mes CM2 dans une autre pour mesurer à nouveau, et comparer ensuite les relevés. 

    Dans la circulaire explicative que j'avais reçue la semaine précédente, il était stipulé que l'ébullition intellectuelle était sans doute en corrélation avec la température de l'individu. Contrairement à ce que nous pourrions penser, plus nous avons chaud, plus nous bouillonnons d'intelligence ! Des neuro-scientifiques l'avaient récemment démontré en laboratoire avec des animaux. Ce serait dû à une molécule secrétée par la chaleur qui stimulerait notre matière grise. Il s'agissait donc de le valider ou non en classe, ce qui pouvait donner des enseignements utiles sur l'opportunité d'un enseignement plus "industriel".

    Donc, le lundi 24, j'ai vu débouler huit scientifiques en blouse blanche, fort sympathiques d'ailleurs, qui se sont installés dans la classe et qui toutes les heures prenaient la température de chacun de mes élèves. Et le mardi 25, de même. Je peux vous dire que mes séquences de classe ont été quelque peu hachées ces deux jours-là, mais mes élèves ont adoré (j'aurais bien aimé qu'ils me le fassent à moi aussi, mais apparemment, l'idée de mettre plusieurs enseignants dans un même espace pour faciliter une possible intelligence collective n'était pas à l'ordre du jour) !

    Le jeudi 26, j'ai eu les résultats de leurs tests :

    1) Les élèves ont été bien plus chauds, et donc en bonne ébullition intellectuelle, quand ils ont été regroupés sur un seul espace. Ceci démontré, le Conseil d'Evaluation de l'Ecole allait voir, c'est ce qu'ils m'ont dit, quelle quantité d'élèves on pourrait regrouper par mètre carré pour atteindre le niveau d'ébullition idéal.

    2) Ils ont aussi remarqué que la partie la plus chaude du corps des élèves se trouvait sous les pieds, donc, m'ont-ils dit aussi, il serait peut-être intéressant à l'avenir de faire entrer les savoirs par cette partie du corps trop souvent méprisée et faire remonter progressivement ces savoirs jusqu'au cerveau par des techniques d'apprentissage appropriées, ce qui serait évidemment une véritable révolution pédagogique. 

    En tout cas, je suis bien content d'avoir contribué à faire avancer la science en ce domaine. 

    Daniel G

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Regard personnel sur Monsieur Blanquer

    http://pedagost.over-blog.com/2018/05/les-oublis-de-monsieur-blanquer.html

    2) Transmettre, apprendre

    http://pedagost.over-blog.com/2014/09/transmettre-apprendre.html

    UNE QUESTION

    La réussite d'une classe est-elle évaluable ? 


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