• J'ai une classe de CE1/CM2, je travaille dans l'esprit de la pédagogie Freinet, je défends donc un apprentissage reposant sur l'ouverture à tout ce qui émane naturellement des élèves, leur expression, leurs tâtonnements, leur coopération, leur vitalité, leur curiosité.

    Un des piliers de ma classe, c'est l'expression partagée, au sens le plus large possible (orale, écrite, théâtralisée, créative, en recherche), qui passe par des dispositifs inscrits dans l'emploi du temps, appelés le "Je fais partager", le "J'écris", le "Je présente", le "Nos questions" ou le "Je réfléchis". 

    Depuis, le début de l'année, les élèves écrivent des textes libres, les lisent souvent à la classe, et les retrouvent pour certains dans le journal de classe hebdomadaire. Il était donc naturel, qu'un jour, je leur demande ce qu'ils pensaient de cette écriture de textes libres.

    Voici la réponse de huit d'entre eux ayant accepté d'y réfléchir pendant le temps d'une récréation. Précisons que ce sont plutôt de bons élèves. 

    - J’aime beaucoup écrire librement, car quand on m’impose quelque chose, je n’ai plus d’idées. Mais par contre, quand je n’ai plus d’idées pour le texte libre, je veux bien qu’on me propose quelque chose, comme ça, j’en aurai peut-être une. Le seul inconvénient du texte libre, c’est qu’on ne voit pas le temps passer. C’est un inconvénient, car on se dit : « Ah, c’est déjà la fin ! »

    - Moi, ça dépend de mon humeur. Des fois, je me dis que c’est bien le texte libre, ça me permet de m’exprimer à ma façon, par exemple pour raconter ma vie ou des histoires que j’ai envie de raconter. Mais des fois, je me dis que je n’ai vraiment pas d’idées ou mes textes ne sont pas bien, alors je préfère avoir un thème imposé. En même temps, c’est un peu libre, car je peux élaborer à ma façon sur un sujet, mais ça ne reste pas très libre.

    - J’aime plus les textes libres, car c’est rare que je n’aie pas d’idées. Et sinon, soit je demande au maître, soit je demande aux camarades. J’aime bien « libre », car ça m’aide à m’exprimer, je peux dire ce qui reste au fond de moi et je peux l’écrire.

    - Parfois, quand il n’y a pas « J’écris », je commence à avoir une idée d’un texte, même la nuit, mais comme je l’oublie le lendemain, parfois je n’ai plus d’idées. Et du coup, j’aime bien en avoir une. Quand on me propose un sujet, souvent, ça ne m’intéresse pas trop.

    - Je n’aime pas trop quand on me donne des idées. Mes idées, elles me plaisent, donc j’aime bien écrire des textes libres.

    - Je préfère largement les textes libres, car ça me permet d’écrire ce que je veux, tu te sens vraiment libre, et après, quand il est corrigé, que tu le mets dans le journal de classe, tu peux le montrer à tes parents, ils sont fiers. Ça fait du bien ! Quand on t’impose un choix, franchement, ça m’ennuie.

    - Quand t’écris des textes libres, tout le monde te félicite et c’est toi qui l’as écrit. Ça te rend fier.

    - Si quelqu’un a des parents très sévères qui ne le félicitent jamais, et que dans une classe, il peut écrire des textes libres et il écrit un très beau texte, peut-être que son père sera fier, et alors, il sera très content pour la première fois.

    - Quand ce sont des textes libres, ça vient vraiment de toi, alors que quand tu t’inspires ou quand on te donne une idée, t’es moins fier.

    - Quand c’est libre, si tu n’as pas d’idées, tu peux raconter ta vie.

    - J’aime beaucoup le système du cahier d’écrivain, car avant, les dernières années, on faisait un jogging d’écriture, on nous donnait un thème et on devait écrire, c’était vraiment ennuyeux. Les thèmes ne m’inspiraient pas et on était obligé d’écrire quelque chose. J’ai découvert que le cahier d’écrivain, ça faisait du bien.

    - C’est comme si le cahier d’écrivain était mon journal où tu peux écrire sous forme d’histoire tes angoisses. Tu peux par exemple raconter un de tes cauchemars ou un de tes rêves les plus beaux. Tu peux faire ce que tu veux. On peut raconter des choses très personnelles. Par exemple, je suis en train d’écrire une histoire de mon cauchemar le pire que j’ai fait. Ça fait du bien d’écrire.

    - Ça développe aussi l’imagination, et quand tu écris l’histoire, tu peux en garder le souvenir.

    - L’an dernier, on avait un cahier d’écrivain, c’était tous les jours un thème différent. Le seul moment que j’aimais bien, c’était le lundi car on pouvait raconter son week-end. Là maintenant, c’est comme si j’étais en liberté.

    - Je me souviens d’une fois, l’an dernier, où on devait écrire une histoire avec la plupart des mots commençant par « c », mais c’était juste une phrase, donc on n’écrivait pas beaucoup.

    - Si on n’a pas envie d’écrire une chose personnelle dans le cahier d’écrivain et qu’on a en même temps envie d’écrire notre vie et de le lire aux autres, on peut dire par exemple que c’est l’histoire d’un hérisson ou d’un autre personnage.

     Daniel Gostain

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1)le texte libre

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/texte-libre-1

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/pratiques-et-recherches-66-la-cle-du-texte-libre

    2) présenter un travail à la classe

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/les-presentations-1

     UNE QUESTION

    Donner le goût d’écrire est-ce suffisant pour donner les codes de l’écriture ?


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  • Nous sommes le 29 novembre et j’ai rendez-vous avec la maman d’une élève de CE1. Cette élève a une écriture qui est difficile : elle écrit « gros » et « tordu », pas toujours sur les lignes même si ça s’améliore un peu et qu’elle est contente de progresser. Elle arrive même à souligner la date ou les mots importants maintenant, mais ça lui « coûte » ! En tout début d’année, lors des premiers travaux en classe j’ai vite remarqué cette « particularité ». La maman d’E. m’avait d’ailleurs demandé un entretien juste à l’issue de la rencontre parents-prof de rentrée.

    J’avais alors eu un rendez-vous quelques jours plus tard avec la maman et aussi le papa d’E. J’avais rencontré une maman très stressée et un papa peut-être un peu « trop » décontracté », mais constatant comme nous les difficultés de passage à l’écrit. E. inverse aussi certains chiffres. Elle a une grande sœur de 14 ans (« deux fois mon âge ! » m’avait-elle dit un jour). « E. a un comportement « d’ado », elle est très dilettante et « n’aime pas l’école » m’avait déclaré alors sa maman.

    E. a fait un long texte libre le matin même. Les mots sont correctement alignés sur les lignes et j’avais vu qu’elle était absorbée par son travail. Elle n’a pas souhaité le lire à la classe lors des « lectures offertes » d’après textes libres, mais manifestement, elle est contente de son travail ; j’avais pu voir l’aspect général soigné en récupérant sa feuille dans la boîte des textes en cours. Je la félicite et valorise les progrès accomplis depuis le premier texte très court et sibyllin de début d’année : « Je n’ai rien à écrire. C’est comme ça ! ». Je sens qu’elle se détend et ça fait du bien. Ce soir, pour le rendez-vous avec la maman, je me promets de montrer son long texte.

    17h, voilà la maman. Un peu inquiète pour sa fille, elle vient m’informer des résultats du bilan  de l’orthoptiste que l’équipe du réseau m’avait conseillé de faire faire. Des séances de correction d’une légère convergence devraient l’aider, elles sont prévues en janvier. Je suis content pour E. car cela apporte une raison objective à ses difficultés … mais la maman elle n’est pas très convaincue et reste sceptique. Je m’empresse de valoriser la bonne volonté que démontre E. en classe tous les jours, sa participation active et plutôt enthousiaste aux travaux de la classe, etc. Me rappelant son texte, je le récupère et me mets à lire à voix haute son (long) texte libre que je n'ai pas encore toiletté avec elle. Très concentré, je lis le texte de sa fille, pas toujours facile à déchiffrer, entre l'écriture un peu rock'n'roll et les erreurs d'orthographe  :

    "Ève et Délia arivair dans le jaredin fantachtik. Délia regardat les beau zarbres et Ève croca dans le frouit. La nuit tombe. Soudain ils …"

    Et la maman qui part dans un fou rire ! "ah ah ah, EVE CROQUA DANS LE FRUIT" !! Toute la tension de la maman qui s'en va d'un coup, et moi qui rigole aussi car je n'avais pas vu le côté comique de la phrase, étant tout à mon déchiffrage... et la maman qui me dit dans un hoquet de rires « ah ça c'est vrai qu'elle nous parle beaucoup plus de l'école cette année, ah c'est vrai qu'elle fait des efforts, et aussi avec sa grande sœur, ah c'est vrai que ceci .. ah c'est vrai que cela ... »

    Champagne !

    Philippe Gilg

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Le Texte libre

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-texte-libre

    2) Le Toilettage de textes

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-toilettage-de-texte

    UNE QUESTION

    Comment faire alliance avec les parents sans pour autant trop dévoiler le "jardin secret" des enfants ? 


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  • Il y a trois semaines, nous avons concrétisé un projet évoqué depuis quelques mois avec deux collègues de CP : elles ont accueilli mes élèves de CM1-CM2 dans leurs classes dédoublées (à 13-14 élèves) pour servir de « scribes » à leurs élèves et retranscrire leurs textes libres.

    J'avoue que j'étais un peu dubitative quant aux productions car plusieurs élèves de ma classe sont peu à l'aise avec l'écrit : l'un est très dysorthographique (l'orthophoniste qui le suit m'a conseillé en début d'année de ne passer quasiment que par l'oral avec lui), un autre écrit très gros, sans suivre les lignes de son cahier et quasi-phonétiquement, une troisième écrit également avec difficultés des lettres qui s'entremêlent et ne suivent pas les lignes, et un quatrième, très envahi par des problèmes familiaux, est difficilement déchiffrable. Bref : j'avais prévenu mes collègues de ces difficultés éventuelles et nous nous sommes lancés !

    Première séance

    Chaque CM se met en binôme avec un CP. Une feuille et un crayon sont prêts à être utilisés sur chaque table : c'est parti ! Nous avons vécu une demi-heure de concentration impressionnante : les élèves chuchotaient tous, il y avait très peu de mouvements, une atmosphère sereine et calme. Après ces 30 minutes, j'ai demandé à mes élèves de finir leur phrase, de noter les noms sur les feuilles, de me les remettre et de repartir avec moi. Ils ont remercié chaleureusement leurs binômes et nous sommes remontés en classe. J'ai, dès ce moment, été impressionnée par la longueur de leurs textes, notamment ceux de mes élèves les plus en difficulté à l'écrit.

    Nous avons parlé de cette expérience en arrivant dans la classe : ils étaient attendris et émerveillés par les CP et leur imagination, m'ont demandé quand on y retournerait. Un enthousiasme général ! Et j'ai senti que mes élèves se sentaient « investis d'une mission » : ils étaient fiers d'eux. Je les ai bien sûr félicités pour leur attitude et l'intensité de leur concentration. J'ai vraiment eu la sensation d'un moment presque magique, de dépassement de soi, vécu par tous mes élèves, sans exception. Mes deux collègues m'ont ensuite fait des retours similaires : leurs élèves avaient été impressionnés par « les grands » et s'étaient également dépassés, concentrés. Ils s'étaient sentis importants et mis en valeur. On peut parler de « gagnant-gagnant », non ?

    Michèle Sillam, animatrice du groupe de soutien au soutien auquel je participe, a eu la réaction suivante lorsque je lui ai fait part de cette expérience jubilatoire : « Comment appelle-t-on le fait de faire dicter le texte d'un élève qui n'écrit pas encore à quelqu'un ? Une ”dictée à l'adulte” ! Tu as renvoyé à tes élèves le fait qu'ils étaient responsables et dignes de confiance vis-à-vis des CP et ils ont agi en conséquence ! »

    Épilogue

    Nous avons fait ensuite deux autres séances, avec des moments de corrections orthographiques et syntaxiques entre autres, et les productions sont pour la plupart longues et imaginatives. Ils les ont également illustrées ensemble. Nous allons en faire un recueil de textes que nous distribuerons aux trois classes (et aux autres !).

    Charlotte Marin

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Les groupes de "soutien au soutien" 

    https://www.agsas.fr/soutien-au-soutien/

    2) Eloge du mélange des âges

    http://laclasseplaisir.eklablog.com/plaisir-vecu-212-eloge-du-melange-des-ages-a148903440

    UNE QUESTION

    Qu'est-ce qui fait qu'une activité que nous proposons provoque la mobilisation de chacun ou pas ? 


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    Dans ce texte de T, quelque chose m'interpelle.

    Il ne s'y passe pas rien.

    D'abord, il y a ce thème de la mort, forcément.

    Ce n'est pas une mort pour rire mais une vraie mort qui surgit là : brutale, violente, angoissante. Elle déborde et elle détruit tout.

    Il y a aussi un style : le style de T. Je l'y reconnais.

    Il écrit comme il parlait l'an passé.

    Il écrit comme il se jette à l'eau pour apprendre à nager. 

    Il s'élance, puis il perd pied. Commencé comme une histoire, le texte s'enlise dans une longue phrase sans point.

    Et il y a son insistance, enfin. C'est le troisième texte de ce style que T. vient me présenter : trois fois le même thème, trois fois le même genre de meurtre, trois fois le même embrouillamini, où tout finit détruit. Il persiste.

    Il doit se jouer là quelque chose pour lui.

     

    La naissance d'une institution

    Je sens qu'il ne se passe pas rien. Mais je ne parviens pas à lui répondre.

    Il vient me montrer ce texte qui le hante. Il me demande s'il peut le lire à la classe. Et moi, je réagis en maître. Je lui réponds : non. En l'état, son texte est incorrect. Il n'est pas prêt à être lu.

    Je lui dis : « C'est intéressant mais il faut que tu le corriges avant ».

    C'est un mensonge : une formule tout faite, rappel d'un cadre, qui n'aide en rien à la situation. Il y a là plus qu'un problème d'orthographe, plus qu'un problème de syntaxe. Pour rendre son texte « propre », publiable et lisible, il faudrait l'amener à préciser ce qui le déborde, comme on force un fleuve à rentrer dans son lit. Or ce débordement, que je voudrais le voir juguler, fait partie de son texte. S'il avait pu le ranger proprement dans un coin, il ne l'aurait pas écrit. Lui demander de le rendre présentable avant de le présenter, c'est déjà le refuser.

    Je lui dis : « Il faudrait qu'on le reprenne ensemble mais là j'ai pas le temps. Viens me voir au prochain plan de travail ».

    C'est encore un mensonge, une formule toute faite. Ce n'est pas prioritairement un problème de temps. C'est un problème de position.

    Je suis le maître. Le garant d'un cadre (la classe) et d'une loi (la langue écrite). Je leur parle depuis ce lieu-là. Et ce n'est pas un maître que T. demande mais un interlocuteur. Il voudrait lire son texte. Il voudrait qu'on l'entende. D'ailleurs, au plan de travail suivant, il ne vient pas me voir. Il n'y pense pas. Se faire corriger son texte ne l'intéresse pas. Non, il revient, une semaine plus tard, avec un nouveau texte, construit sur le même modèle que le précédent, et une même demande : « Maître, ça y'est, j'ai fini un texte : est-ce que je peux le lire ? »

    Ici la relation maître-élève est une impasse. L'inter-individuel touche sa limite. Nous ne parvenons qu'à répéter sans cesse le même désaccord. Il faut que sa parole s'ouvre à d'autres qu'à ce maître, qui ne peut être, à la fois, et la bouche-loi et l'oreille-soeur. Il  faut que d'autres présences viennent traverser la boucle qui nous enferme. Il faut faire autrement :

    « Écoute, pour moi, ton texte-là n'est pas clair. Il faudrait qu'on puisse le reprendre. Mais regarde : y'a plein d'élèves qui m'attendent, là je n'ai pas le temps. Du coup, voilà ce que je te propose : vendredi matin, en français, j'écris ton texte au tableau et on le retravaille tous ensemble, avec les autres CE1. Est-ce que ça te va ? »

    T. accepte.

     

    Fébrilité

    De ce premier "toilettage de texte", je garde surtout le souvenir de ma propre fébrilité : ce n'est pas si évident de proposer une institution nouvelle.

    Ça met en cause l'existant, cette habitude, cette vraisemblance, où chacun et chacune a pu construire son petit nid de sens. Son tissage d'acceptation, d'indifférence et d'attentes contrôlées.

    Dès lors, ça peut échouer.

    Pourquoi changer ce qu'on connaît ?

    Au nom de quoi prendre le risque d'ébranler « ce qui fonctionne » ?

    « Qui se plaindra qu'il y a des nuages au ciel et de la terre pour nos pieds ? »

    Ici, le risque est d'autant plus réel qu'il acte la limite de mon pouvoir. Ma faiblesse.

    Il ne s'agit pas d'un manque technique, d'un problème de "communication". Ce n'est pas que « je n'ai pas assez bien expliqué ». Je ne peux pas répondre au texte de T. Il me faut céder ce pouvoir de répondre à un groupe d'enfants. Je dois me fier à leur capacité à écouter la parole que ce pauvre texte délivre. 

    Que se passerait-il si... ?

    L'inquiétude sourde ne va pas au bout de ses mots mais elle me rend fébrile.

    Alors je ne cède qu'à moitié : j'ouvre ce toilettage sur des questions de corrections orthographiques.

    « D'abord, on va corriger les petites erreurs, après on essaiera d'améliorer la fin ».

    L'orthographe, c'est par excellence le lieu de la loi de l'écrit. C'est un terrain où je reste le maître incontesté, où ils ne peuvent que me croire lorsque je dis : « c'est comme ça ».

    Alors je parle trop. Je me dis que je dois faire vibrer ce désir de reprise, qui ne vient pas d'eux et dans lequel je voudrais les voir s'engager. Je m'exprime haut, tout en voix et en gestes, et, dans le même temps, je les observe fébrile : Qui décroche ? Qui répond ? Comment ? Pour obéir au maître ? Ou pour creuser la voix ouverte par T. ?

    A vrai dire, je m'agite tellement que je ne vois pas grand chose, sinon le reflet de mon espoir et de mes craintes. Eux, je les vois peu.

    Malgré cette animation cahoteuse, en lutte contre elle-même, qui aurait fait demander à n'importe quel conseiller pédagogique : « Mais quel est l'objectif de votre séance ? Où est votre fiche de prep' ? »...

    Malgré cela, un autre texte finit par s'élaborer. Aujourd'hui encore, je le regarde avec fierté, tant j'ai l'impression que les suggestions des enfants ont réussi à capter-détourner le débordement morbide du texte de T., pour le conduire vers une fin inattendue, où la tragédie se retourne en comédie grinçante : « tout ça pour ça ».

     

     

     

     

     

    Jean Teissier

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Le Texte libre

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-texte-libre

    2) Le Toilettage de texte

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/toilettage_de_texte_02.pdf

    UNE QUESTION

    Dans quelle mesure pouvons-nous laisser voir aux élèves nos tâtonnements intérieurs ? 


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  • Elle a commencé par faire une très courte apparition aux cours de français pour adultes. Puis on ne l’a plus revue pendant pendant six années. Mais quand elle y est revenue, je l’ai tout de suite reconnue, tellement elle tranchait d’avec notre public habituel. Elle, Margot, Allemande, la soixantaine, et dotée d’un tempérament très marqué, ne nous a jamais dit pourquoi elle nous avait lâchés, ni les raisons de son retour. Mais nous étions très heureux de la revoir. Ce plaisir, je crois, était partagé.

    Elle nous a raconté qu’elle avait exercé le métier de fourreur, oui, de fourreur, un métier aujourd’hui en grande partie disparu. Il n’y a plus que les stars indifférentes à la condition animale et à l’opinion publique pour porter encore sur leurs dos des peaux de bête. Après le décès de son conjoint, Margot a vécu en faisant des ménages. Elle possède une culture générale, et surtout politique, peu commune parmi nos apprenants. Elle adopte avec tout le monde une attitude aidante et maternelle que personne ne rejette tant elle y met du tact et de la gentillesse. Elle adore rire et faire rire, elle comprend tout et pourrait tout dire en français si elle n’était particulièrement émotive. Elle est ainsi incapable de faire, de façon fluide et tranquille, une phrase simple dont elle connaît pourtant tous les mots. On a parfois le sentiment que c’est à dessein qu’elle s’embrouille, mélange les termes, bafouille et ponctue avec malice toutes ses phrases d’un inévitable « Katastrophe ! ».

    Ses textes libres, en revanche, nous émerveillent.
    En voici deux, qui donnent une idée assez fidèle de la richesse de sa personnalité :

    Ma nouvelle voiture
    Ma nouvelle voiture est un coup de chance pour moi. Fini les soucis de panne ! Pour moi, une voiture est très importante. Cela signifie mobilité et liberté. Je ne crois pas au bouddhisme, mais dans une prochaine vie, je vais faire un apprentissage comme garagiste.

    Une grande surprise
    Lundi dernier, ma copine a sonné à ma porte. J’étais très contente. Elle était comme un cadeau spécial pour mon anniversaire. Nous avons beaucoup parlé et pendant très longtemps. C’était très bon pour « mon âme ». Mon amie a dormi dans mon lit. Mon problème était le matelas pneumatique. Chaque matin, il était à plat. Mon pauvre dos !

    Pourquoi vient-elle au cours ? Pourquoi ne manque-t-elle jamais une séance, alors que, tout comme nous, elle doit avoir le sentiment de ne guère progresser sur le plan de la fluidité de son élocution, malgré nos encouragements sans cesse réitérés, malgré les efforts visibles qu’elle produit pour tenir un discours un tant soit peu cohérent ?

    La réponse à cette question, Margot la livre peut-être dans ce dernier texte, elle qui côtoie avec nous toutes ces cultures portées, avec quelle nostalgie ! par nos apprenants déracinés :

    Je suis curieuse de la vie
    Oui, je suis très curieuse des informations actuelles dans le monde. Ma grande passion : bien connaître notre culture, mais aussi faire la connaissance de cultures différentes de la mienne, et découvrir d’autres pays, d’autres peuples et d’autres manières de vivre. Je regrette que la télévision soit ma seule agence de voyage. Si je gagnais un jour un million, ça, c’est sûr, je ferais le tour du monde.

    Martine Boncourt (extrait de "Apprendre le français à l'âge adulte en Méthode naturelle" à paraître aux Éditions La Chronique Sociale en août 2021)

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Le Texte libre

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-texte-libre

     2) Freinet Adultes FLE et Alphabétisation

    https://freinet-adultes-fle-et-alphabetisation.webnode.fr

    UNE QUESTION

    En quoi favoriser le désir d'apprendre des adultes peut-il s'inspirer de ce qui est pratiqué avec les enfants ? 


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