• Cette question que m’a posée un élève de CP cette semaine m’a interpellée. J’ai dû quitter ma classe et mes projets sur l’année pour une autre façon de travailler, une autre façon d’accompagner les élèves vers l’émancipation. Je suis remplaçante, essentiellement affectée à la journée. Je propose une bulle créative dans un emploi du temps souvent bien rodé. Ce matin-là, j’avais provoqué la surprise en demandant aux élèves, lorsque nous nous sommes présentés, de me dire ce qu’ils aimeraient faire au cours de cette journée que nous avions à partager. 

    - … (Silence)

    Les élèves étaient désarçonnés par cette proposition. Choisir quoi faire ? Être libre de décider comment organiser sa journée ? Je venais déjà de casser l’alignement des banquettes pour proposer que nous soyons en cercle, et voilà que je brisais la routine quotidienne.

    Leur réaction m’a surprise parce que nous étions dans une école avec un fonctionnement expérimental, les quatre classes de CP et CE1 se partagent les locaux et les outils de travail. Deux plages horaires sont dédiées au travail en autonomie quotidiennement pour chaque classe. Les élèves prennent alors leur portfolio de compétences et décident quoi travailler. Ils s’installent où ils le désirent dans la pièce dédiée, seuls, ou à plusieurs. Ils font appel aux adultes lorsqu’ils en éprouvent le besoin. Ce sont donc des élèves autonomes dans l’organisation de leurs apprentissages scolaires.

    J’ai alors demandé à chacun de préciser une chose qu’il aimait particulièrement afin que nous voyions ensemble comment nous en emparer. Les langues se sont déliées, chacun avait quelque chose qu’il aimait : de la promenade dans un parc, à la piscine, en passant par chat glacé, la lecture…

    Ensemble nous avons étudié la faisabilité de chaque proposition. Impossible d’aller à la piscine ou dans un parc. La question de l’heure s’est posée, ils m’ont parlé de la récréation, des ateliers autonomes… Conscients des incontournables de l’école avec ses rituels, ils ont cherché à lire l’heure. Débat, discussion pour connaitre la fonction de chaque aiguille de la grande horloge avant que R. ne propose que nous lisions l’heure sur le cadran électronique de sa montre. Sauvés… nous en avons déduit la fonction de la petite aiguille ! Pour la grande, il y a eu débat. Nous n’avions pas à disposition de matériel adapté à l’apprentissage de la lecture de l’heure. Certains élèves sont restés un certain temps à observer les mouvements de l’aiguille et celui de l’écriture digitale. Soudain un élève qui regardait silencieusement un porte-vues d’œuvre d’art que j’avais apporté est venu me montrer la reproduction d’un tableau de Delaunay.  « C’est une horloge. Elle est coupée en quatre. On peut lire l’heure ! Il y a les quarts d’heure marqués ! » 

    Il a essayé de la reproduire. Un camarade qui avait terminé l’écriture de la règle du chat glacé a pris le baril de feutres pour dessiner un grand cercle, puis il a arpenté la pièce à la recherche d’objets à base circulaire. Il les a posés, les a rangés par ordre décroissant et a tracé une cible. Il a été observé par ses pairs que j’ai encouragés à l’imiter s’ils pensaient que cela leur permettrait de tracer des cercles (nous n’avions ni compas, ni ficelle…).

    Voilà que tous les élèves ont souhaité réaliser un cadran coloré. Pour indiquer l’emplacement des heures, j’ai proposé que ceux qui avaient terminé montrent et aident les autres. Nous n’avions qu’une journée, et tant de choses à faire… d’autant que de retour de la récréation, ils avaient naturellement été chercher leurs portfolios de compétences pour profiter du temps réservé au travail en autonomie. 

    C’est alors qu’un élève qui avait déjà aidé trois de ses camarades à positionner les heures m’a interpellé « Dis maîtresse, pourquoi avec toi on peut s’aider ? ». Il a lu ma surprise sur mon visage et a ajouté « avec le maître on travaille tout seul et sinon c’est lui qui nous aide. On peut leur demander aussi », me précisa-t-il en pointant les AESH de la classe.

    Nous avons alors entamé une discussion à deux d’abord, puis avec ceux qui nous ont rejoints. « Pourquoi peut-on s’aider en classe ? » Il a été question de tricher, de mensonge, puis d’entraide. Ils ont noté les bénéfices de réfléchir à plusieurs, comme cela avait été le cas pour ceux qui avaient choisi le matin de rédiger la règle d’un jeu collectif. Mutualiser nos connaissances permet d’être plus efficient. « Des fois tout seul on ne sait pas, mais il y a des enfants qui savent, alors ils peuvent nous dire. 

    - C’est un peu tricher quand même non ? » 

    Trop court une journée pour traiter un tel sujet, surtout quand il est abordé en fin d’après-midi. Un bilan philosophique fait par les élèves de l’esprit de notre journée. La bulle créative dans laquelle je les ai entraînés serait-elle coopérative ?

    Clothilde Jouzeau Kraeutler, Brigade à Perpignan

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Coopération et citoyenneté

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/fichier-d-incitation-cooperation-citoyennete

    2) Changer sans tout changer

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/27325

    UNE QUESTION

    Est-ce que s'aider, c'est un peu tricher ? 


    votre commentaire
  • Je reprends à temps partiel une classe du 18e arrondissement de Paris dans un établissement avec des élèves ULIS intégrés aux différentes classes selon leurs emplois du temps et où mes nouveaux collègues affichent une belle connaissance de chacun.

    Ce type de connaissance fine où quand une élève t'aborde sans te dire son nom en disant simplement "tu es la nouvelle maîtresse des CE2 ? Il parait que tu es comme ceci et comme cela. Est-ce que je peux te faire un câlin ?" (preuve que les enfants se parlent) et qu'elle ne t'a pas dit son nom, et lorsque tu racontes l'histoire en salle des maîtres, trois enseignants en même temps répondent : "Ah ça c'est forcément unetelle".

    Troisième semaine de présence, seulement donc 3 ou 4 jours avec eux. Après la récréation, la tension est palpable : il s'est passé quelque chose. On décale la séance prévue : il faut que ça sorte. Il y a une injustice : "M a tapé quelqu'un et on ne lui a rien dit, car sinon, il fait des crises... et puis il fait toujours ça et puis..."

    Moi qui ne les connais pas vraiment : "Qu'aurait-on pu faire ? On va parler chacun son tour en levant le doigt".

    Et là, moment de grâce : 

    Une élève : "On aurait pu faire un message clair". 

    Moi : "Comment faites-vous ça ?" 

    Là, trois-quatre enfants replacent tout le processus, complétant les paroles des uns des autres. 

    Puis on revient sur le sujet de discorde et sort un : "Par exemple A, qui tapait tout le temps avant, eh ben, maintenant, il ne le fait presque plus, et ça c'est bien", et arrivent tous les exemples, nombreux, de la manière dont A s'est amélioré, ce qu'on apprécie plus avec lui maintenant. A, au fond de la classe, écoute en silence et dans l'émotion la plus totale.

    "On pourrait essayer d'aider M à faire ça aussi".

    Moi : Fière de mes nouveaux élèves, même si je n'y suis absolument pour rien, fière aussi de mes collègues des années précédentes et de me dire que tout ça change le monde, petit à petit. Il y aura encore des problèmes, mais notre travail fait une différence, sans doute.

    Caroline Bouis

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) Les Messages clairs

    https://www.cahiers-pedagogiques.com/Des-messages-clairs-pour-cooperer

    2) S'exprimer et partager en classe

    https://padlet.com/se_lancer_en_pedagogie_freinet/1

    UNE QUESTION

    Quand on remplace un(e) collègue, faut-il suivre sa façon de faire ou non ? 


    votre commentaire
  • En réunion de rentrée dans une classe de CP-CE1, une maman me demande pourquoi sa fille de CE1 avec qui je travaille depuis le CP, n’obtient pas l’étoile tant attendue dans son fichier Tangram.

    Je lui propose de relever le défi et de réaliser elle-même le Tangram de son choix.

    Elle accepte et se lance dans l’aventure. Elle a des difficultés à aller au bout de l’exercice et bloque. Sa voisine l’aiguille en plaçant une pièce. Elles discutent, échangent et réussissent à elles deux à réaliser le Tangram.

    Jubilation de la maman à ce moment qui reconnaît avoir réussi grâce à l’aide de sa voisine.

    En se mettant dans les chaussons de son enfant, elle a compris les difficultés rencontrées.

    En profitant de l’aide de sa voisine, elle a entre-aperçu l’intérêt de la coopération. 

    Marina Poree


    1 commentaire
  • Première séance de travail en aide relationnelle RASED, avec A., élève de CM2, en grande difficulté scolaire, en forte « délicatesse » avec l’école aussi, délicatesse aussi familiale. A. fait souvent des crises fortes dès qu’une frustration se manifeste.

    Après un temps de parole assez rapide – A. reste méfiant, ce qui est assez logique – je lui propose de me dire ses envies pour la séance. Nous prenons appui sur la salle et son matériel (maquettes et figurines, jeux de société) et je lui fais aussi des propositions.

    Je m’attends à ce qu’il s’oriente vers un jeu de société, ce qui aurait été plus neutre affectivement comme première médiation. A ma surprise, il choisit d’inventer une histoire avec figurines, en s’aidant d’une maquette de maison qui se trouve dans la salle.

    Le temps de l’activité démarre : il choisit soigneusement les personnages et les dispose à côté de la maison. Ils sont clairement répartis en deux familles, allant du bébé au plus âgé, l’une blanche, l’autre noire. Il est prêt, je mets le minuteur sur 15 minutes et il se lance. Il est concentré, bien présent, mais le fait sans aucun son. Au bout de deux-trois minutes, je fais une pause et lui rappelle qu’il peut faire parler ses personnages. Il me répond qu’ils parlent dans sa tête. D’accord, c'est son choix. Il poursuit son récit, allant une ou deux fois chercher une nouvelle figurine.

    Les 15 minutes sont écoulées. Nous rejoignons l’espace de parole pour le troisième temps, celui du regard sur ce qui s’est passé. A. semble bien, détendu. Alors, je lui propose de me raconter son histoire :
    « C’est un père, noir, qui est marié à une femme, noire, mais il veut rencontrer une femme, blanche, car comme ça, ils auront des enfants métisses. Il incite aussi son fils à épouser une femme blanche pour la même raison : avoir des enfants métisses. Mais son épouse découvre qu’il la trompe et demande le divorce. »

    A la fin de son récit, je lui confie mon étonnement sur ce silence de 15 minutes, silence guère habituel à l’école, surtout quand il est choisi par l'élève et qu'il n'est pas celui imposé par les évaluations, par exemple. Il me répond qu’il n’a jamais vécu un temps de silence aussi long, que c’était calme, que c’était bien. Il me précise aussi qu’il s’est inspiré de ces footballeurs très connus qui ont pour compagne des femmes blanches, souvent très belles. Un signe de réussite, semble-t-il, pour lui.

    Si j’ai voulu relater cette séance, c’est pour souligner à quel point ces temps particuliers, que nous proposons à des élèves en assez grande rupture avec les exigences scolaires, ont quelque chose de rare, donc de précieux : du calme, de l’écoute, de la liberté dans un cadre précis, qui manquent à un grand nombre d’enfants, que ce soit à l’école ou dans le cercle familial. Une façon de se réconcilier un tout petit peu avec l’institution scolaire et, qui sait, à se ménager un début d’accès aux apprentissages.

    Daniel Gostain

    POUR ALLER PLUS LOIN 

    1) Le site de la Fédération Nationale des Associations des Enseignants en Aide relationnelle

    https://fnaren.fr

    2) Des pistes d'activité

    https://padlet.com/danielgostain/G

    UNE QUESTION

    Comment faire bénéficier à l'ensemble des élèves des écoles de temps de réflexion, de liberté, et d'écoute de ce qu'ils sont ? 


    votre commentaire
  • A. est une élève de CM2, une élève qui nous est signalée en difficulté scolaire chaque année depuis le CP : des difficultés d'apprentissages, notamment en mathématiques, en histoire, en anglais, et des difficultés dans la gestion de ses émotions : elle peut facilement se mettre en colère ou se recroqueviller en classe. 

    J'ai commencé à la suivre en "aide relationnelle" (une des missions du RASED) en CM1 au sein d'un petit groupe et j'ai découvert une jeune fille particulièrement attachante, se saisissant de ce temps particulier avec un certain plaisir. Loin de ma perception, l'élève qui m'était dépeinte en classe.

    En ce début d'année scolaire, A. nous était encore décrite par son enseignante comme une élève qui l'inquiétait, et pour laquelle des interrogations sur son niveau scolaire se posaient. J'ai pu lors de la concertation donner mon ressenti sur A., ce qui, je le sus plus tard, modifia le regard de l'enseignante.

    A. était en fort demande d'aide, mais je n'envisageais pas alors  de prendre des CM2, priorité étant donnée aux enfants plus jeunes, donc de maternelles ou CP/CE1. 

    Et puis, j'ai réfléchi et je me suis vraiment interrogé sur tous ces enfants un peu plus âgés, traversant depuis deux ans les turbulences du covid, en besoin d'écoute et de soutien.

    Alors, je me suis débrouillé pour libérer deux temps sur la semaine :

    - un premier temps pour mener trois "ateliers empêchements" avec quelques élèves de CM1/CM2 sur trois écoles de ma circonscription

    - un second temps pour proposer une aide individuelle avec certains élèves de CM2, qui nous semblaient susceptible d'en bénéficier favorablement. 

    A. était de ceux-là.

    Chaque lundi, à 15h, nous avons eu rendez-vous, elle et moi, pour 45 minutes d'aide relationnelle. A. s'est tout de suite impliquée, notamment sur ses propositions de médiations : invention d'histoires, écriture, y compris à la maison, partage de sentiments assez personnels. Et peu à peu, j'ai assisté à une transformation, une transformation faite principalement de verticalité. A. s'affirmait de plus en plus, notamment après les vacances de Noël. J'assistais, presque sans rien faire, à une sorte de métamorphose, et, ce qui était d'autant plus formidable, c'est que sa maîtresse témoignait d'un certain transfert sur la classe : plus de calme, plus de concentration, plus d'implication. 

    17 janvier : Je lui annonce qu'il serait juste d'envisager la fin de l'aide, par exemple pour les vacances de février, car il me semblait qu'elle avait pleinement évolué pour pouvoir maintenant poursuivre ce travail toute seule. Elle acquiesce mais ajoute : "J'aimerais quand même avoir une séance le lundi de la rentrée, car pendant les vacances, je pourrais avoir des émotions à faire partager à mon retour (A. a une vie familiale compliquée, faite de ruptures et réconciliations entre les parents)". Je donne mon accord, étonné par cette parole pleine de maturité. La séance se poursuit par une proposition de ma part : tracer son parcours scolaire du CP au CM2, tel qu'elle le ressent. Voici son illustration, avec écrit au centre, "du stress, de la colère, de la passion, de la tristesse, joie".

    Le chemin

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Et elle finit par : "En revoyant le tableau, ça me fait rire, et je me dis aujourd'hui, qu'il y a des choses que je ne ferais pas".

    24 janvier : Pour cette séance, je propose à A. une activité particulière : que nous inversions nos rôles, donc qu'elle mène la séance comme je pourrais le faire et que je me mette à sa place. Une façon de se décentrer et de se découvrir  autrement. D'ailleurs, j'avais dès son entrée dans la salle changé de place par rapport à d'habitude. 

    Elle est tout à fait d'accord. 

    Je vous fais partager trois moments audio de ce temps (avec son accord)

    1) Le temps 1 de la parole (je suis A., elle est moi)

    Enregistrement 1

    2) Le choix du jeu de société (formulé par A.) : le jeu "Qui est-ce ?", suivi du temps 3, temps de retour sur l'activité

    Enregistrement 2

    3) Le regard d'A. sur le jeu de rôle que nous avons mené

    Enregistrement 3

    POUR FINIR (provisoirement) :

    Ce récit d'une aide relationnelle n'est bien entendu qu'un exemple de ce qui peut s'y passer. Ici, il s'agit d'un travail très positif, mais je vis bien entendu plein d'autres moments où l'avancée est bien plus problématique. C'est là le grand intérêt (et la difficulté) de ce travail. 

    Daniel Gostain

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) La Fédération nationale des enseignants en aide relationnelle/rééducative

    https://fnaren.fr

    2) Mon padlet 

    https://padlet.com/danielgostain/G

    UNE QUESTION

    Comment ne pas "perdre" tous ces élèves trop vite étiquetés, trop vite abandonnés, car bénéficiant de trop peu d'occasions de  reconnaissance ? 


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique