• Nous sommes vendredi, ma copine J. du groupe Freinet parisien (l’Ipem) est de visite dans ma classe pour assister au conseil hebdomadaire, et moi… je suis un peu fiévreux, j’ai une otite, et surtout aucune envie de mener ce conseil pendant plus d’une heure. Mais une petite voix me dit également en moi, que finalement, l’expérience peut être intéressante car cet état induit de ma part une attitude calme et posée. Et puis, le conseil est attendu, inscrit à l’emploi du temps. Pas moyen d’y échapper.

     13h50, les devoirs sont notés, les élèves ont bruyamment déplacé les tables et se sont installés en position de conseil. Tout le monde a rejoint le cercle et se fait face.

     J’inscris l’ordre du jour au tableau :

    Ordre du jour

    1 – rappel des décisions prises

    2 – critiques

    3 – félicitations

    4 – propositions

    5 – passage des ceintures

    6 – Autres sujets

     Je déplace le code des sons. Nous sommes dorénavant en code blanc : « On ne se déplace pas, on garde le silence, on demande la parole au Président ».

     Je prononce les paroles rituelles qui démarrent le conseil : « Le conseil est ouvert, je serai le président. On ne se moque pas, on écoute celui qui parle, la parole sera donnée à celui qui aura le moins parlé. ». Puis je lis l’ordre du jour et le conseil démarre.

     Les décisions prises les deux semaines précédentes sont rappelées. Nous essayons ensemble de voir pourquoi certaines n’ont  pas abouti.

     C’est maintenant au tour des critiques d’être prises en charge par le conseil. Cette semaine, quatre critiques sont inscrites. Leur nombre a fortement diminué depuis le début de l’année où il fallait alors faire face à une quinzaine de critiques toutes les semaines. Les trois premières critiques sont rapidement lues puis abandonnées car les problèmes ont été réglés entre les élèves.

    Vient la dernière critique, formulée par K. ce jour à l’encontre de A..

    K. nous explique que A. la dérange durant le travail individuel, car voulant savoir ce qu’elle est en train de faire, il se permet, sans le lui demander, de prendre la fiche sur laquelle elle se concentre, ce qui la perturbe et lui fait perdre le fil de son travail.

    Le problème de K. bien compris, le conseil commence à émettre des propositions. Il se centre d’abord sur la réponse à apporter au problème de K . et de A. Oui, nous allons mettre à l’essai une règle qui précise qu’il faut demander avant de prendre la fiche d’un autre, c’est tellement évident.

    Mais soudain le conseil prend de la hauteur. Le problème c’est que K. est à une table, à côté de laquelle tous les enfants doivent passer pour venir me voir au bureau, ce qui crée une certaine agitation, pénalise les enfants de cette table et rend leur concentration plus difficile.

    Pour la première fois de l’année, le conseil prend possession de son outil et de son espace de travail.

    « Il faut déplacer la file d’attente pour ne pas gêner les élèves de la table 1 »

    « On peut remettre en place les passeports qu’on utilisait l’année dernière (merci le double-niveau et les élèves qui restent deux ans avec nous) »

    « Limitons le nombre d’élèves au bureau à trois, comme ça, cela fera moins de bruit ».

    Un débat d’une quinzaine de minutes a lieu. Dans le respect, on s’écoute, on analyse, on marque ses points de désaccord, on argumente. Je suis ravi. Je n’ai qu’à donner la parole.

    Au terme de cette discussion, le conseil vote. Ce n’est pas la proposition pour laquelle je vote qui est adoptée à l’essai pendant 15 jours (j’aurais préféré remettre en place les passeports), mais ce n’est vraiment pas grave. Nous limiterons pendant 15 jours le nombre d’élèves pouvant venir à mon bureau à trois. Et puis dans 15 jours, nous déciderons si cette proposition a répondu à nos attentes. Si besoin, nous en rediscuterons.

    De mon côté, je changerai le sens de la file d’élèves se rendant à mon bureau. Cette proposition m’a fait plaisir, car c’est une idée que j’avais en tête depuis une quinzaine de jours. Elle est venue du conseil, sans que je ne biaise à aucun moment les débats. Je suis ravi.

    Cerise sur le gâteau de cet instant de grâce. Nous lisons les propositions. L’une d’entre elle demande au conseil s’il serait d’accord pour qu’il y ait une journée entière de travail individuel qui soit organisée. Une journée donc à faire du français et des mathématiques. Reprise en main par le conseil de l’organisation du temps de travail. Je demande le vote du conseil…. A l’unanimité les enfants votent pour…. et crient leur joie… Je suis profondément ému. Ce vendredi, le conseil a réellement muri. Outil de régulation des conflits et de la vie de la classe, il est maintenant devenu une institution dans laquelle les enfants pourront organiser leur espace, leur outil de travail. J’attends avec impatience les prochains conseils !

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1/ Conseil d’enfant

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/le-conseil-cle-de-voute-de-l-organisation-cooperative

    voir exemples de 2 vidéos :

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/video-conseil-1

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/video-conference-1

    UNE QUESTION

    Jusqu’où peut-on laisser les élèves prendre des décisions concernant la vie de la classe ?


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  • Ce "plaisir à vivre" est ici une invitation à penser autrement les apprentissages. Ça part d'une conviction, qu'apprendre ne se réduit pas à des techniques, du volontarisme, du quantitatif. Mais aussi à un "penser".

    Il y a nécessité, en parallèle avec tous les moments disciplinaires, de : penser la classe, penser l'apprendre et ses empêchements, penser le monde, penser notre condition humaine (Philippe Meirieu soutient cette idée sur son site : http://www.meirieu.com/ECHANGES/echangesdepratiques.htm)

    Le principe : Il s’agit d’inscrire dans l’emploi des temps un moment quotidien consacré à une réflexion sur la classe, sur l’apprentissage et plus largement sur le monde, en lui donnant la même importance que celui voué aux temps disciplinaires.

    Ce temps ritualisé, reprenant pour partie des principes et dispositifs de la pédagogie Freinet, pourrait faciliter un développement global de chacun et donner de la force et de la permanence aux savoirs acquis.

    Je propose pour ce « temps des penseurs » une demi-heure par jour environ, soit huit demi-heures sur une période de deux semaines, comme dans l’exemple ci-dessous.

    http://www.calameo.com/read/00002102596501fadcfa1

    Il va de soi que tous les autres moments de classe doivent être dans le même état d’esprit : un apprentissage en vie et envie.

    A chacun bien sûr de s’en emparer selon un naturel propre à soi-même et à la classe.

    1 – Penser l’apprendre 

    a) Ateliers philo sur « Pourquoi on apprend à dessiner/lire/compter/mesurer/etc.

    b) Moment de tutorat entre élèves pour aider ceux qui n’aiment pas ou n’arrivent pas bien à dessiner/lire/compter/mesurer/etc.

    2 – Penser l’empêchement à apprendre 

    a) Visionnage des scènes de clown du site : http://www.empechementsaapprendre.com/

    et discussion autour de la situation initiale d’empêchement. Atelier philo sur une question des clowns

    b) Recherche de solutions contre les empêchements à apprendre. Visionnage des solutions des clowns

    3 – Penser la classe 

    a) Conseil coopératif. Les propositions des élèves pour améliorer la classe et l’école.

    b) Conseil des relations. Félicitations et critiques. Résolution des conflits.

    4 – Penser le monde 

    a) Les questions des enfants sur le monde (d’ordre scientifique, historique, géographique, etc.). Choix d’une question par la classe.

    b) Nous essayons de répondre à la question.

    5 – Penser la condition humaine 

    Ateliers de réflexion collective (d’ordre philosophique)

    Et voilà le projet détaillé :

     Le Temps des Penseurs

    S'il vous intéresse, vous pouvez me contacter (daniel.gostain@netcourrier.com) pour qu'on échange au fur et à mesure.

    UNE QUESTION

    Comment organiser tous ces temps tout en faisant respectant le programme ?

     


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  • C'est la quatrième année que je travaille dans une école élémentaire de sept classes, mais seulement de CP et CE1, où je pratique une pédagogie inspirée de la pédagogie Freinet. Depuis l'an dernier, deux collègues me suivent dans cette démarche, chacune à son rythme et selon sa sensibilité (ce qui est le mieux).

    Le plaisir à vivre - que je ferai partager assurément à plusieurs occasions dans ce blog tout au long de l'année - est celui d'un temps de réflexion d'équipe - cinq enseignants à ce jour - non institutionnel à partir de nos pratiques. Non institutionnel, car ce projet de co-réflexion vient de nous, seulement de nous, ne répondant aucunement à une demande de type "projet d'école ou de circonscription".

    Pourquoi j'insiste là-dessus ? Ce n'est pas pour rejeter en bloc ce qui vient de cette fameuse institution (il y a parfois des projets d'école intéressants à mener... mais il y a aussi de formidables "usines à gaz", et aussi, trop souvent, des mélanges de genre entre liberté pédagogique et  exigences de résultats à court terme) mais pour revendiquer une liberté de ton entre nous. Entre pairs ! En effet, cette co-réflexion est d'abord née de notre besoin d'enseignants de terrain de vivre une dynamique d'équipe qui soit vraiment la nôtre, celle issue de nos questionnements, de nos désirs de partage, de nos impasses, de nos réussites... en totale liberté !

    Nous allons nous réunir tous les lundis de 12h30 à 13h15 - avec libre participation des enseignants de l'école - pour aborder les thématiques qui nous touchent. Lundi dernier, le "Je fais partager", lundi prochain, l'expression écrite et l'amélioration des textes écrits, et on a déjà prévu un lundi de partage sur l'utilisation par une collègue des fichiers de maths Ermel. Et puis, on laissera vivre...

    Ainsi, ce lundi 8, nous avons pu discuter ensemble de                                                                           - comment favoriser la participation d'un maximum d'élèves au "Je fais partager"                        - comment rendre les interventions les plus riches possible, sans dénaturer le partage volontaire et libre des élèves                                                                                                                        - faut-il ou non prolonger ce temps d'expression par un temps de recherche ?

    Ce n'est qu'un début, continuons le plaisir !

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1/ direction collégiale

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/11626

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/46318#attachments

     UNE QUESTION

    C’est quoi travailler en équipe ?


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  • Depuis ma rencontre avec Jacques Lévine, psychologue, psychanalyste, créateur d'un courant d'ateliers de philosophie pour les enfants, et fondateur de l'Agsas, qui propose - entre autres - des groupes d'échange entre enseignants, je ne travaille plus de la même façon.

    En particulier, dès qu'on aborde une nouvelle notion, je garde à l'esprit le "pourquoi c'est fait" de cette notion ou, dit plus simplement, pourquoi on l'étudie en classe. C'est fou, d'ailleurs, le nombre de notions qu'on aborde sans passer la case "Pourquoi" !

    Ainsi, avant de commencer à mesurer dans la classe, dans l'école, dans la rue, nous nous sommes posé la question : "Pourquoi parfois a-t-on besoin de mesurer ?" et je les ai laissé parler. Ça semble d'ailleurs une évidence, mais l'évidence et l'école, ça fait plutôt deux.

    Là, pour étudier la composition du calendrier, nous avons réfléchi à son "pourquoi". Et j'ai trouvé l'échange bien intéressant et utile pour donner du sens.

    Ecoutez plutôt :

    1) A quoi sert un calendrier ?

    2) Est-ce que ça sert de garder d'anciens calendriers ?

    Les entendre chercher du sens à ces notions/outils d'adultes, c'est aussi un moment-plaisir !

    POUR ALLER PLUS LOIN

    Lien sur les types de débats

    https://fr.padlet.com/valdasilvace1ce2/n98zkwqoi6vw

     UNE QUESTION

    Est-ce que toutes les notions doivent passer par un questionnement préalable ?


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  • Le plaisir d'aujourd'hui est en fait le plaisir d'une année, celui d'assister à la métamorphose proprement insensée d'un enfant de ma classe, F.

    F. est en CP dans mon CP/CE1, il m'a été signalé en fin d'année dernière comme un enfant très en retard, voire un peu attardé - comme on le disait autrefois - et j'ai choisi de le prendre dans ma classe, vu qu'on m'avait concocté une classe "aux petits oignons", comme souvent lorsqu'il s'agit d'une classe à double-niveau ("On va te mettre des enfants autonomes, car tu as le malheur (je souligne) d'avoir un double niveau, et tu t'es sacrifié pour le prendre", me dit-on souvent).

    Arrive le début d'année.

    F. est très calme, mais aussi totalement perdu. Perdu dans le début de fonctionnement un peu particulier de ma classe, perdu car ses parents le considèrent comme un peu à part parmi leurs enfants - celui qui a des gros problèmes, alors que son petit frère, lui... -, perdu dans ses rapports aux autres.

    Pendant le temps d'écriture de textes libres, J., une personne qui se prépare au métier de professeur des écoles ou moi-même, nous nous mettons souvent près de F. pour l'aider à faire émerger un début de petite histoire. Mais à la question "Qu'est-ce qu'il fait le crocodile ?", F. répondait : "Qu'est-ce qu'il fait le crocodile ?" Tout cela pendant le premier trimestre. Bon...

    Et puis, les rituels de classe se mettent en place, le "Je fais partager", le temps des projets, l'écriture des textes libres, avec parution dans le journal hebdomadaire de classe. F. s'y inscrit un peu, n'en comprenant pas trop le sens, aidé en cela par une ambiance de classe fondée sur la coopération et l'entraide.

    A., un élève de CE1, a été vraiment moteur pendant cette première partie de l'année pour F. Pour chaque activité, il s'est conduit comme un véritable tuteur, lui préparant ses cahiers, lui expliquant parfois la consigne, l'encourageant. De façon naturelle, et sans que ça perturbe son propre travail. Bien au contraire.Vertu du double-niveau ! yes

    Un des temps de la classe du vendredi, le "Vote de textes" pour le journal, a été très important pour F. Comme je m'attachais à ce que tous les enfants puissent avoir leur texte libre publié à un moment ou un autre, quelle que soit la longueur du texte, F. a pu voir les siens, même sommaires, reconnus. Vous pouvez imaginer sa fierté, surtout que ses premiers écrits ont été vraiment choisis par ses camarades (et non par le maître). Son premier texte élu a même été applaudi (à moins que ce ne soit plutôt F. lui-même qui l'ait été)

    Le voilà dans le journal n°2  :

    Plaisir VECU 288 : La Métamorphose de F.

    Et puis, l'année 2014 arrive, F. s'installe, de façon évidente : il se met à déchiffrer peu à peu les albums, à écrire de façon de plus en plus autonome, il se met même récemment à demander à passer au "Je fais partager" et à nous parler de l'anniversaire de son frère de façon compréhensible, en nous regardant, avec une voix affirmée. Pendant l'écriture de textes libres, à la question "Qu'est-ce qu'il fait le crocodile ?", F. répond : "Le crocodile, il mange des poissons". L'expression et la formulation restent simples, mais quel changement !

    Enfin, conclusion provisoire de cette observation, depuis cette semaine, F. présente chaque matin l'emploi du temps de la journée avec un autre élève de CP et je peux vous dire que sa fierté fait plaisir à voir.

    Une image ? Observez ces deux dessins, en septembre 2013, puis en avril 2014 :

    Plaisir VECU 957 : La MétamorphosePlaisir VECU 957 : La Métamorphose

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Tous, dans l'école, s'accordent à reconnaître la métamorphose, enseignants, maîtresse G, élèves.

    Alors, qu'est-ce qui a provoqué ce "miracle" ? Voilà quelques-unes de mes hypothèses :

    1) Le fonctionnement d'une classe inspirée de la pédagogie Freinet, où il y a la possibilité d'une vraie expression personnelle et donc d'une reconnaissance, favorise le changement. De plus, ses camarades, qui se rendaient compte de la "différence" de F., n'ont cessé de l'encourager.

    2) Le double-niveau, où la compétition et la comparaison des résultats sont moins présentes, permet à des enfants comme F. (et à tous les autres aussi) de ne pas être relégués. De plus, j'ai fait le choix de mélanger dans la classe les enfants de CP et CE1 pour permettre le tutorat (même si je travaille aussi à certains moments avec un groupe ou l'autre).

    3) Les parents de F. ont coopéré, acceptant  - avec réticence, toutefois - la mise en place d'un travail psy.

    4) Je n'ai pas trop différencié le travail de F. Evidemment, mes exigences n'étaient pas les mêmes que pour d'autres ( ce qui ne signifie pas "inférieures"), mais je ne suis pas sûr que donner un autre travail aux enfants en difficulté soit approprié, car c'est une façon de les mettre à part. Je suis plutôt partisan de les inscrire vraiment dans le groupe-classe, tout en étayant davantage.

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1/ tutorat (empêchement)

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/6165

    2/ journal

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/le-journal-de-classe-1

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/le-journal-de-classe-2

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-journal-scolaire

    3/ Quoi de 9

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/accueil-quoi-de-neuf

     UNE QUESTION

    Dans quelle mesure le tutorat sert aussi bien celui qui aide que celui  qui est aidé ?


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