• Je suis enseignant en classe élémentaire à Paris. J’ai des CE1/CM1.

    B. est une de mes élèves de CM1 qui a perdu confiance : elle n’a plus confiance en elle, elle n’a plus confiance en l’école. Lorsqu’elle regarde le tableau, elle ne voit que des signes entrecroisés dont le sens lui échappe totalement. Et pourtant, les autres camarades semblent comprendre tout ça, eux. Ils lèvent le doigt, trépignent sur leur chaise pour se faire interroger lorsque parfois, dans un accès de confiance, au risque d’être « gêneur une fois », l’un d’eux lâche la réponse qui lui brûlait les lèvres. Cette réponse que le maître valide, non sans un rappel à la règle. Cette réponse que tout le monde semblait connaître, semblait vouloir donner… sauf B.

    Et du coup, B. a peur de regarder le tableau. Elle ne veut plus, alors elle lui tourne le dos. Ce tableau l’angoisse. Et puis tous ces cahiers, dont elle n’a pas vraiment encore saisi pourquoi ils sont si nombreux. Toutes ces lettres, ces mots, partout. Tous ces nombres et ces textes, de plus en plus longs au fil des ans, que les autres semblent manipuler comme des jongleurs, comme des magiciens, et en prenant plaisir. Ses cahiers à elle sont presque vides, excepté quelques ratures qui ornent quelques travaux dont on peut lire surtout une écriture maladroite au stylo vert : la correction. Ceux des autres se remplissent. Tiens, ils en sont presque tous au deuxième cahier d’ailleurs. Alors B. passe beaucoup de temps cachée derrière le rideau de la classe. Son refuge.

    Jusqu’à ce vendredi.
    Ce vendredi je lui demande d’apprendre une poésie, au moins une dans l’année. Je lui explique que je vais l’aider à l’apprendre. Qu’on va la choisir ensemble et que c’est très important de faire travailler sa mémoire. Et là, elle me répond :
    « - Mais j’en connais une !
    - Et tu veux la réciter, ta poésie ?
    - (hésitante) Oui, je veux bien… »
    B. se place alors face à ses camarades. Heureusement, il règne dans cette classe un climat extrêmement bienveillant. Personne ne se serait permis la moindre réflexion désagréable en ce moment particulier, qui l’aurait anéantie. Au contraire, ses camarades semblent curieux et touchés par cet élan de courage, mais en même temps dubitatifs.
    Pas un bruit, tout le monde retient sa respiration. Les yeux sont braqués sur B. qui timidement commence :
    « La pierre magique
    La pierre magique
    Je l’ai mise dans mon sac.
    Le lendemain,
    Je l’ai mise dans mon sac à dos.
    Le lendemain,
    Je l’ai mise dans mon tiroir.
    Le lendemain,
    Je l’ai mise dans mon sac.
    Mais où est passée ma pierre magique ?
    … »
    Après quelques secondes de silence, je lui demande :
    « Et.. l’auteur ? Te rappelles-tu le nom de l’auteur ?
    - Ben oui, c’est moi qui l’ai inventée. »

    À ce moment, les élèves se sont levés et l’ont applaudie. Il est difficile de décrire l’émotion et son intensité, qui a traversé chacun d’entre nous à ce moment.
    Je lui ai corrigé sa poésie, qu’elle a recopiée dans son cahier de poésie. Elle en a déjà écrit une autre et elle veut les publier dans notre journal, les deux.
    Depuis, B. se met plus volontiers au travail. Elle aime faire, lors des temps de "travail individuel", toute seule et sans aide son petit fichier de calcul PEMF que je lui ai trouvé. Elle est même allée le montrer à la directrice hier sur mes conseils pour qu’elle voie les progrès réalisés en ce moment. B. est radieuse, elle sourit, elle participe, elle prend des notes. Elle regarde le tableau. Elle retourne encore parfois se cacher derrière son rideau, mais c’est beaucoup plus rare.

    Ce matin, en arrivant dans ma classe pour m’y installer, j’ai trouvé sur mon bureau un Michoko accompagné d’un petit mot : « Pour M. Blanc. B. »


    Pierre BLANC
    pierre.blanc.prof@gmail.com

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1) émotions- émancipation

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/pratiques-et-recherches-41-la-poesie-a-l-ecole-un-langage-pour-l-emancipation

    2) la poésie

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/les-poesies-chuchotees

    UNE QUESTION

    Y a-t-il une limite à la disponibilité de l'enseignant pour les élèves ?


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  • Depuis quelques années, je m’interroge sur le climat de classe et les liens qui unissent, ou pas, mes élèves. Comment faire pour les aider à coopérer, à aller vers l’autre, celui qui est différent de soi ? Alors cette année, j’ai pioché cette idée dans l’agenda Coop de l’OCCE : Mon ami-e du jour. Il s’agit pour une journée d’avoir un « ami-e » imposé-e dans la classe et de trouver mille et une manières de lui montrer qu’il ou elle est important-e pour moi, que je le reconnais, que je l’estime.

    Nous avons donc procédé le matin à un tirage au sort secret de l’ami-e. A la vue de l’ami-e désigné-e, j’ai pu lire de la joie, de la déception, de l’inquiétude dans certains regards. J’ai accompagné ces réactions d’un sourire, parfois de quelques mots rassurants, de propositions d’un temps de parole avec moi.

    Pendant la journée, j’ai observé les attitudes, les façons d’agir et de se parler de mes élèves. Je leur ai laissé des temps libres dans la classe susceptibles de favoriser des échanges inhabituels, des temps où l’on peut proposer à un camarade de faire un jeu, de lire un livre, de poursuivre un exercice, de réviser des mots de dictée, et que sais-je encore ! Et le soir, pendant le bilan météo, nous avons accueilli et recueilli les impressions de chacun.

    Qui a trouvé la personne chargée de lui témoigner « un peu plus d'amitié que d’ordinaire » ? Comment as-tu deviné ?
    « Oh, ben, c’est facile, à la récréation, il a joué avec moi. C ’était jamais arrivé ! »
    « Il m’a donné une partie de son goûter ! »
    « Il a lavé ma table pleine de peinture ! »
    « Il m’a aidé à faire mes opérations ! »
    « Elle m’a expliqué l’exercice ! »
    « Elle m’a dit bonjour ! »                                                                                                                                « Il s’est rangé avec moi ! »

    Et des remarques : « J’ai passé une super journée. J’ai pas joué avec mes copains de d’habitude et du coup j’ai joué à autre chose ! » « Moi, j’ai été gentil avec plein de copains pour pas qu’ils trouvent leur ami. »

    Une très belle journée sans dispute, sans bagarre, sans mots déplacés ! Ou presque !
    Une très belle journée pleine de sourires, de mots, de découvertes, de rencontres alors que mes élèves se connaissent pour la plupart depuis 6 ou 7 ans.
    Une si belle journée que mes élèves en ont redemandé ! Et que deux de mes collègues se sont lancées...

    Gaelle Madrenas, ICEM-Pédagogie Freinet
    Gaelle.Madrenas@ac-montpellier.fr

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1)aborder les émotions en classe

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/56022

    2)l’OCCE

    http://www2.occe.coop/

    UNE QUESTION

    A quoi tient la réussite d’un dispositif ?


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