• Cette année, je suis dans une classe de cycle 3, au sein d’une école classée en REP +, dont le projet mêle étroitement pratiques Freinet et pédagogie institutionnelle. Les élèves y font fonctionner conseils, messages clairs et médiation. Textes libres, projets et recherches personnelles, ateliers bricolage, plans de travail individuels, dictées coopératives… ponctuent le quotidien didactique de nos écoliers. Les six classes de l’école sont des classes de cycle, ce qui signifie que les élèves grandissent dans la même classe pendant plusieurs années. Nous évoluons avec nos élèves au sein d’un quartier à la périphérie de la ville, où tout est à l’abandon, ghettoïsé. Nous voulons offrir à nos élèves la possibilité de se construire, au sein d’une structure stable, sécurisante, bienveillante, ouverte sur le monde, la vie, la construction d’un humanisme social.

     Depuis la rentrée, le climat de la classe est difficile : alors que les élèves des autres classes vivent de façon pleine et entière le projet de notre école, la classe dans laquelle je me trouve a déjà vu passer quatre enseignants différents… Lois du mouvement mal réglées… Difficile pour ces enfants, souvent désaxés dans leurs vies de petits êtres. J’arrive ici avec le projet d’y rester, après une rencontre forte avec l’équipe. C’est un choix social. Envie chevillée au corps de construire de petites et grandes choses, avec et pour ces enfants.

    Mais, pour le moment, la réalité quotidienne de certains enfants de la classe est ailleurs. En ce mois de septembre, c’est le désarroi : refus de travail, stratégies d’évitement, provocations sont légion au sein du groupe des CM. Testent-ils ? Quoi d’ailleurs ? Pas la maitresse, non, autre chose : la fiabilité du cadre offert, peut-être… La violence est latente, traduisant les chaos intérieurs des uns et des autres…

     Deuxième semaine de classe, mardi matin, après la récréation. Je n’étais pas de service. La sonnerie a retenti et je suis sortie de ma classe pour faire rentrer les élèves. Un groupe d’élèves parlementait avec un autre maître de façon véhémente. Les autres élèves étaient en rang et attendaient pour entrer en classe. Les enfants perturbateurs ont fini par arriver, j’ai donc fait avancer le rang, pour bloquer les perturbateurs et engager l’explication : « Que s’est-il passé avec le maître, pour que vous soyez ainsi en retard ? ».

    Premier élève, S., CM1 : « Vas-y, j’ai pas à te répondre, tu m’énerves, je ne te réponds pas. »                                                                  

    Non ça, ce n’est pas possible, tu ne rentres pas en classe dans ces conditions. Tu m’expliques ce qui s’est passé : manifestement c’est un problème avec le ballon. »              L’élève me bouscule : « Vas-y, pousse-toi, laisse-moi rentrer. » Je lui demande de ressortir de la classe : il ne peut pas rentrer dans ces conditions. S. reste dans la classe et envoie valser le ballon en mousse vers la bibliothèque. 

     Je demande alors à l’élève-facteur de l’accompagner chez la directrice. L’élève posant problème ne voulant pas sortir, je change immédiatement mon fusil d’épaule en demandant à l’élève-facteur d’aller chercher la directrice, dont la réponse est qu’elle « a autre chose à faire ». Je demande donc à S. d’aller dans une autre classe, avec une fiche de réflexion.

    L’enfant s’est alors prostré sur sa chaise, rendant la classe à priori impuissante. Je ne pouvais plus rien : je n’interviendrais de toute façon pas physiquement.                      

    Alors, j’ai choisi de faire un message clair à mes élèves : je me suis assise sur un meuble, et j’ai dit aux enfants que j’étais en grève : « Mais, maitresse, c’est quoi la grève ??? » Je leur ai expliqué que je leur faisais un message clair : « Mes conditions de travail ne sont pas respectées dans la classe. Je suis moi aussi un être humain, qui a droit au respect. Là, on vient de me faire mal, de me bousculer. Il n’y a pas d’excuses en retour. Je ne peux pas accepter ça. En conséquence, tant que rien ne se passera dans la classe pour que je retrouve mes droits et mon intégrité, je ne bougerais pas. » J’ai ajouté que, comme j’étais en grève, les enfants ne pouvaient plus ni travailler, ni se déplacer, ni faire de bruit pour ne pas déranger les autres. 

     Au début ça a été un peu l’effroi, mais c’est à ce moment-là qu’est venu le « moment-champagne ». Ressort des pratiques Freinet dans notre école : le groupe s’est mis à parlementer avec l’élève perturbateur, lui disant qu’il fallait qu’il trouve une solution : « Nous, on veut travailler ». Parmi les élèves pourtant les plus rétifs au travail, l’un a lancé : « Je ne veux pas être plus bête que mes pieds. Comment on va faire pour sortir de cette situation ? » Cette phrase tournait alors comme leitmotiv dans la classe. Mais S. restait prostré, on ne pouvait rien en tirer.

    11h20 est arrivé. Les élèves se demandaient comment ils allaient faire pour retravailler quand il sera 13h30. Je leur ai dit qu’il fallait qu’on trouve collectivement une solution. Ils ont commencé à discuter. Je me suis remise au tableau, simplement pour organiser les tours de parole.

    L’idée de la classe fut la suivante : A 13h30, S. allait devoir s’excuser auprès de la maîtresse et de la classe, puis s’engager à respecter les règles. Il pourrait alors revenir dans le groupe et travailler. Si S. ne faisait pas tout ce chemin, il serait alors exclu de la classe pour que le groupe puisse à nouveau travailler. Ce que nous avons fait. A 13h30, S. refusait de s’excuser et n’avait pas rempli la fiche de réflexion qui lui avait été confiée pendant l’heure du midi. Il n’est donc pas revenu en classe. 

     Avec l’équipe enseignante, nous avons pris la décision de convoquer S. en conseil des maîtres extraordinaire. A partir de ce moment-là, il lui a été signifié qu’il était exclu de la classe pendant quelques jours. Pendant ces journées, S. allait devoir accomplir un chemin. Il a été mis dans une classe de cycle 2, donc des plus jeunes. Au bout d’un moment, comme S. s’ennuyait, il m’a demandé du travail. Il s’est rendu compte à ce moment-là qu’il pouvait retrouver le chemin pour réintégrer la classe et retrouver son rôle d’élève. Régulièrement, S. est venu me redemander du travail.

    En parallèle, avec les autres élèves de la classe, nous avons continué à rédiger les règles de vie de la classe, à partir d’ateliers de réflexion menés autour de cas concrets fictionnés. Chaque groupe d’élèves devait trouver des solutions pour résoudre une situation, puis rédiger une loi permettant d’empêcher la situation de se reproduire. Quand les règles de la classe furent rédigées, affichées, le groupe a demandé à S. de signer un contrat s’engageant à les respecter.

    Il a alors été réintégré dans la classe à l’essai, avec des droits limités : il ne pouvait ni participer au conseil, ni rester en classe pendant les récréations, ni se déplacer librement dans la classe, ni assumer des responsabilités telles que celle de délégué de classe. 

     Ce « moment-champagne » réside dans cette prise en main du groupe, cette prise de conscience que tout à coup on ne pouvait plus travailler et qu’il fallait trouver des solutions. Ces solutions, les enfants les connaissaient très bien, pour les avoir travaillées en amont dans l’école, à travers l’étude et la pratique des lois de l’école et de la classe.

    Au milieu de l’effroi, le groupe a su s’emparer de ce travail, pour devenir médiateur et pouvoir commencer à construire son identité, son chemin au sein de l’école.

    Là, maintenant, S. est dans une posture positive ; les rechutes sont peuplées de « je dois me contrôler ».

     Le déclic chez cet enfant-élève ? S. semble s’être rendu compte qu’il ne s’agissait pas simplement d’un conflit entre lui et l’école au sens institutionnel du terme. Son conflit intérieur risquait d’entamer la relation entre lui et son propre groupe classe, fondatrice d’une identité.

    Magali J.

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1/ messages clairs

    https://www.icem34.fr/ressources/classe-cooperative/les-messages-clairs

    2/des conflits pour grandir

    https://www.icem34.fr/ressources/classe-cooperative/les-messages-clairs/312-les-conflits-pour-grandir

    UNE QUESTION

    En quoi cette expérience fait écho à vos expériences parfois difficiles à gérer en classe ?


    4 commentaires
  • J’ai cette année une classe de cycle III un peu difficile dans un quartier de Paris lui-même difficile. A côté d’un groupe de CM2 plutôt partant et dynamique, la plupart des élèves de CM1 ne rentrent vraiment pas dans une dynamique d’apprentissage. Ils sont soit dans une passivité que je trouve inquiétante, soit dans une réactivité que je trouve gênante, et rien - sauf quand je leur lis une histoire - ne semble les intéresser.

    Je pourrais choisir l’option de l’autoritarisme, qui « fonctionnera », j’en suis sûr : activités imposées de façon plus ferme, silence imposé sous peine de sanctions, etc.….

    Mais, même si cela « fonctionnait », est-ce que pour autant ces élèves progresseraient et apprendraient pour de vrai. Ils feraient ce qu’on leur dit de faire, car ils n’ont pas le choix. Mais, comme dirait Célestin Freinet, « ne vous obstinez pas dans l'erreur d’une pédagogie du cheval qui n’a pas soif ».

    J’aimerais donc plutôt chercher ce qui pourrait leur donner soif, ce qui pourrait les amener en conquête d’apprentissage.

    Alors, avec Daniel G, nous nous sommes interrogés et nous avons cherché des idées. Le plus librement possible. Et en voilà une qui a émergé : Et si nous mettions en place un temps de « recherche de sens », qui permette de revenir sur ce qui nous amène à nous rendre à l’école pendant tant d’années, afin de remettre la quête du savoir au centre de toute chose. En effet, presque jamais au cours de la scolarité, nous nous interrogeons sur le pourquoi des apprentissages.

    Nous pourrions consacrer un temps quotidien de « recherche de sens » qui pourrait se diviser en quatre thématiques : la langue, les mathématiques, le monde, l’humain. Chacune sur une semaine. En s’appuyant bien sûr sur ce qui se passe dans les activités de la classe au moment de cette « recherche de sens ». Et puis, ensuite, nous repartirions sur le premier thème.

    Nous commencerions, chaque lundi pendant 20 minutes, à lancer un remue-méninges autour d’une de ces quatre thématiques et à laisser émerger leurs questions (les premières fois, il faudra sans doute donner des exemples pour leur faire bien saisir l’idée). Et puis tous les autres jours de la semaine, pendant vingt minutes environ, chaque enfant, seul ou à deux, conduirait sa recherche autour d’une des questions qu’il aura choisie. Un peu comme une recherche mathématique (vous en trouverez un exemple ici : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/43609).

    Par exemple :

    - en langue française : « pourquoi met-on des points dans des textes ? », « pourquoi les phrases sont-elles avec des sujets et verbes ? »

    - en mathématiques : « pourquoi n’y a-t-il que dix chiffres alors qu’il y a une infinité de nombres ? », « pourquoi a-t-on inventé la règle ? »

    - sur le monde, « pourquoi il y a-t-il des arcs-en-ciel ? », « pourquoi il y a-t-il de la poussière ? »

    - sur l’humain, « pourquoi il y a-t-il des guerres ? », « pourquoi a-t-on souvent envie d’avoir des enfants ? »….

    L’objectif de ce temps de recherche de sens serait avant tout d’ouvrir la curiosité des enfants sur ce que Jacques Lévine appelait les secrets de la vie, ceux qui nous donnent envie d’apprendre, de creuser à l’intérieur des savoirs. Nous faisons le pari qu’en mettant les enfants dans ce bain de questionnements, peu à peu, ils se remettront en quête.

    En tout cas, moi, Nicolas, je m’engage à tester dans les prochaines semaines cette approche et à vous faire part des premiers enseignements.

    Avec vous ?

    Nicolas J

    POUR ALLER PLUS LOIN

    1/ Nos questions

    http://pedagost.over-blog.com/2017/11/nos-questions.et-ce-qui-en-reste.html

    2/ Emploi des temps

    http://pedagost.over-blog.com/article-mes-principaux-temps-de-classe-115814596.html

     UNE QUESTION

    Comment organiser les temps d’expression pour qu’ils deviennent des déclencheurs de sens ?

     


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